L'Œuvre, roman publié en 1886, constitue le quatorzième volume de la série Les Rougon-Macquart, et prend place à la suite de Germinal dans le cycle. L'ouvrage nous entraîne dans le monde de l'art et des artistes, à travers le portrait d'un peintre maudit, Claude Lantier, dont le personnage évoque celui de Paul Cézanne, grand ami de Zola, qui se brouillera avec l'écrivain après la publication du roman.
Le passage proposé est extrait du chapitre XII, où Christine se révolte enfin contre l'obsession de Claude, et déverse toute sa haine contre la peinture, cette « gueuse » qui lui a volé son mari, pour rien puisque celui-ci n'a jamais réussi à produire une grande œuvre. Après une nuit de passion qui lui fait espérer qu'elle a récupéré son amant, Christine a la douleur de le trouver pendu devant sa toile inachevée.
[...] Zola, L'Œuvre, Chapitre XII : Il avait rompu la chaîne . elle t'a tué, tué, tué, la gueuse ! Introduction 1. Issu du mouvement réaliste, se dessine en Europe à la fin du XIXe siècle un courant littéraire et artistique qui cherche une représentation réaliste de la nature : le naturalisme. [...]
[...] ( le retour à la focalisation omnisciente et à un discours objectif renforce l'effet de la mort du personnage principal La description du suicidé forme un tableau frappant, qui contraste avec la description distanciée de son suicide. Avec le retour à la focalisation omnisciente, on assiste à une analepse (retour en arrière) qui permet de comprendre les circonstances de la mort du peintre : cette description frappe de nouveau par son objectivité, par la distance qu'elle introduit dans le récit, dans un refus délibéré du pathétique ( la description retrace les étapes de la mort du peintre sans aucune trace d'apitoiement, comme s'il s'agissait d'une action anodine : il avait simplement pris une corde qui tenait le châssis au mur» (l'emploi de cet adverbe souligne la banalité du geste), il était monté Puis, de là- haut, il avait sauté dans le vide ; à peine trouve-t-on une trace d'ironie tragique dans la formule cloué par lui un jour ( cette distance induite par la description du suicide lui-même fait éclate le caractère sordide de l'acte, et renvoie à la volonté de l'auteur de montrer la nature dans toute sa réalité, même la plus basse et la plus honteuse (d'autant plus qu'il faut se rappeler que le suicide est un acte extrêmement condamnable au regard de la morale chrétienne alors dominante) De plus, la description du corps mort de Claude est aussi destinée à choquer le lecteur, où l'auteur n'épargne aucun détail sordide, en détaillant l'aspect horrible du suicidé en chemise, les pieds nus, atroce avec sa langue noire et ses yeux sanglants sortis des orbites (horreur de la précision anatomique, de l'aspect du cadavre), grandi affreusement dans sa raideur immobile Transition : Ce passage met en scène la mort de Claude de manière à impressionner le lecteur, en créant tout d'abord un effet de suspense lié au climat inquiétant, puis en retardant au maximum la vision du corps suicidé. [...]
[...] elle t'a tué, tué, tué, la gueuse ! qui soulignent cette opposition entre la femme légitime et la maîtresse la gueuse désignant au XIXe siècle une femme de mauvaise vie) Non seulement la peinture apparaît comme une maîtresse, mais encore elle prend l'aspect d'une entité supérieure qui mène le peintre à la mort : selon les formules de Christine, elle a repris le peintre (deux occurrences du verbe dans le passage : venait de le reprendre + elle t'a repris ce qui souligne que le peintre lui appartenait, et qu'il ne pouvait s'en détacher, jusqu'à la mort ( c'est d'ailleurs la peinture, personnifiée en gueuse que Christine accuse du suicide de son mari, dans une formule qui joue sur une amplification ternaire où est repris 3 fois le même terme elle t'a tué, tué, tué, la gueuse ! [...]
[...] Le choc de la mort du personnage principal est ressenti par le lecteur à travers la mise en scène du désespoir de Christine : plusieurs formules soulignent la violence de sa souffrance, notamment et un cri terrible jaillit de sa gorge béante : image de l'absence de contrôle, comme si le cri sortait malgré elle, comme si l'expression de sa souffrance la dépassait Son attitude apparaît inattendue, car elle ne s'effondre pas sous le poids du chagrin, mais au contraire Christine, pourtant, restait droite : il semble que sa douleur ne s'exprime que de manière corporelle, au point que ses sentiments douleur, épouvante et colère se traduisent dans son corps Son corps en était gonflé : en renvoie aux sentiments) ; plusieurs notations soulignent qu'elle n'est plus qu'un corps, presque animalisé gorge x2, cri hurlement : les manifestations de sa douleur s'apparentent à celles des animaux) ; sa douleur est si forte qu'elle l'anéantit quasiment dans sa manifestation sa gorge ne lâchait plus qu'un hurlement continu : forme restrictive souligne que ce hurlement devient comme son seul mode d'être) 2. La peinture est présentée comme un personnage maléfique qui aurait amené le peintre au suicide. [...]
[...] Conclusion La scène de la découverte du corps suicidé de Claude, pendu face à son œuvre à jamais inachevée, souligne le caractère tragique du roman, qui trouve ici un dénouement sanglant. La mort du peintre constitue un passage dans lequel Zola fait montre de toute son habileté pour renforcer le choc produit par la disparition brutale du peintre ; la description de son suicide choque d'autant plus le lecteur qu'elle forme un contre-point brutal à la scène d'amour située quelques paragraphes plus haut, et qui laissait espérer un avenir moins douloureux pour le peintre et sa femme. [...]
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