Dans un roman naturaliste, l'ancrage spatio-temporel est essentiel car il contribue à l'effet de réel. Il est lié au projet même de l'écrivain, étudier l'interaction des individus et de leur milieu. L'ancrage temporel se fait dans le passage par de nombreux indices : nous savons que Gervaise et son compagnon sont à Paris "depuis huit jours", car c'est la durée de leur installation dans un garni, c'est-à-dire une chambre d'hôtel modeste. Mais la plupart des détails temporels concernent le déroulement d'une nuit particulière, par laquelle s'ouvre le roman, et qu'inaugurent le complément circonstanciel valorisé en tête de phrase "Ce soir-là" (...)
[...] un vieux chapeau d'homme, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales [ . ] un châle troué, un pantalon mangé par la boue Comme pour les meubles, on retrouve l'idée de vétusté et de crasse, mais plus surprenante ici quand on sait que l'héroïne est blanchisseuse. Le narrateur qualifie d'ailleurs ces loques usagées d'un terme très dévalorisant et familier, ce sont des nippes invendables. Lantier et Gervaise se sont délestés d'une parties de leurs effets personnels, ils les ont vendu ou mis en gage pour survivre dans la capitale. [...]
[...] Ce soir-là, pendant qu'elle guettait son retour, elle croyait l'avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d'une nappe d'incendie la coulée noire des boulevards extérieurs; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte. Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n'était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. [...]
[...] C'est ce personnage central que notre extrait, qui constitue l'incipit du roman, nous invite à découvrir. Comment le romancier installe- t-il le personnage de Gervaise dans le roman? Comment lui donne-t-il vie et intérêt? C'est à cette question que nous allons tenter de répondre en étudiant d'abord l'ancrage temporel et spatial du texte. Puis nous analyserons la façon dont Zola campe son personnage dans cet espace ainsi délimité et nous essayerons de cerner l'intérêt que présente cette manière de procéder. [...]
[...] Dans la rue règnent les faux-semblants : Lantier et Adèle, visiblement ensemble, marchent à quelques pas l'un de l'autre, pour masquer leur probable liaison. La lumière vive de l'entrée du bal devient elle aussi déplaisante : la fin du premier paragraphe évoque la clarté crue des globes de la porte Le spectacle qui s'offre à la vue de l'héroïne dans la chambre louée ne vaut guère mieux. Tout y est vieux, laid, sale, incomplet. Les meubles semblent surabondants malgré leur rareté tant l'espace est exigu. Les objets s'accumulent en désordre, soulignant l'impécuniosité du couple. [...]
[...] Lantier, dont on aperçoit que la silhouette incertaine dans le texte, est à l'origine de cette manipulation. Consciente d'être trompée, Gervaise est pour l'instant dans l'incapacité de réagir, car il lui incombe la tâche de surveiller le sommeil de Claude et d'Étienne, ses deux enfants. Le texte nous montre alors un autre visage de Gervaise, elle n'est pas qu'une amante bafouée, elle est aussi et surtout une mère. La littérature romanesque abonde en figures maternelles. C'est par les yeux attendris de l'héroïne que nous percevons les enfants. [...]
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