Si la littérature s'inscrit de par ses sujets, sa forme, ses personnages ou ses situations dans un déterminisme plus ou moins désiré par l'artiste poète, celui-ci est susceptible de maîtriser cette création que de façon partielle. Cette fatalité dans l'œuvre littéraire fut catégorisée par nombre de critiques, qui parfois s'arrêtèrent à des considérations trop étriquées et donc contestables.
Aussi l'écrivain P. A. Touchard soutient-il une double thèse à ce sujet : il considère d'une part que la fatalité du théâtre réside dans sa situation alors que celle du roman se trouve davantage dans ses personnages ; et d'autre part il oppose par la littérature deux polarités constituantes de l'homme et de la fiction a priori aux antipodes l'une de l'autre, avec d'un coté, un homme, « jouet des évènements » et donc victime de la fatalité, que le théâtre tend à « nous rappeler », et, de l'autre, un homme déterminé et maître de ses passions dont le roman se charge de nous faire le portrait.
Posée telle une doxa irréfutable introduite par l'injonction « il y a », cette double catégorisation par P.A. Touchard mérite pourtant d'être éclairée et discutée alors même qu'elle semble être trop hâtive et simpliste vis-à-vis d'un débat littéraire qui ne peut être fixé tel quel. De fait , la recherche d'une via media entre ces genres qui s'attachent à ceci ou cela si elle semble être exclue par P.A. Touchard apparaît pourtant sous quelques points possible et donc envisageable.
[...] L'opposition situation personnage, prouvée mais contestable recouvre-t-elle de ce fait cette seconde opposition? Nous faire souvenir que l'homme est déterminé par ses passions et en même temps nous rappeler qu'il est le jouet des évènements revient à dire que nous avons su un jour ces polarités en l'homme : probablement la première fait elle allusion à la place nouvelle que l'homme s'est lui-même donnée depuis le XVIIIe, fort et dominant ; et la seconde à celle qu'il croyait avoir dans l'antiquité gréco-romaine, faible et dominé par le fatum et les dieux. [...]
[...] Touchard vise donc probablement juste par cette double classification, opposant le roman au théâtre, et le théâtre au roman, différents par leurs moyens comme leurs fins, ils tentent tous deux de toucher l'homme dans ce qu'il est, avec sa part de prosaïsme comme sa part de divinité ; cependant n'y a-t-il pas quelques exceptions à ces catégorisations ? Un renversement de celles-ci mêmes ne serait-il pas dans certains cas possible ?En limitant le genre du roman au réalisme et au naturalisme et celui du théâtre à la tragédie, Touchard est-il bien trop catégorique ? Enfin un compromis entre ces deux genres doit-il être systématiquement exclu ? [...]
[...] On assiste en effet à de réels brouillages entre les intentions et même les identités du narrateur, du personnage et de l'auteur. Alors que le roman peut être écrit à la première ou à la troisième personne du singulier (voire à la deuxième comme La modification de Butor), le narrateur peut être le personnage ou le témoin de l'histoire, s'effacer derrière la polyphonie de ses personnages (avec les romans épistolaires)ou encore multiplier les points de vue. Aussi cette forme d'appropriation et d'assimilation rend sous certains points complètement caduque la définition générique, et donc la classification de A.P. [...]
[...] Tocard apparaît donc contestable, alors que le roman comme le théâtre s'ils sont orientés il est vrai différemment, peuvent l'un et l'autre évoquer une fatalité ou dans leurs personnages, ou dans leur situation, ainsi que révéler la part divine et incontrôlable de l'homme autant que ses passions parfois elles aussi peu contrôlables. Comme le roman ou art de l'écrit excède les limites de l'écoute et dépeint ce qui ne se dit pas facilement, c'est-à-dire les passions, et ce, particulièrement à travers ses personnages ; le théâtre, lui, s'attache à peindre l'action la plus vraisemblable afin de purifier l'homme de ses passions . [...]
[...] En dernier recours, on cherche alors, avec le roman à exercer une maîtrise sur le temps, et ce, par une écriture du destin, comme l'écrit le critique et écrivain Barthes Le roman est un mort, il fait de la vie un destin, du souvenir un acte utile et de la durée un temps dirigé et significatif ou en transcendant le hasard de la vie en destin : Le roman fabrique du destin sur mesure. C'est ainsi qu'il concurrence la création et qu'il triomphe provisoirement de la mort ( ) (Camus). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture