La guerre de 1914-1918, qui bouleversa complètement les frontières européennes, fit disparaître quatre empires, causa plusieurs millions de morts, et laissa infirmes, blessés dans leur corps et leur âme, des millions d'hommes jeunes. Elle inspira au genre romanesque des évocations saisissantes et variées, notamment de Roland Dorgelès dans "Les Croix de bois", de Jean Giono dans "Le Grand Troupeau" et de Louis-Ferdinand Céline dans une partie de "Voyage au bout de la nuit", roman publié en 1932, qui obtint la même année le prix Renaudot.
Céline a pris part à la Grande Guerre et fait, comme Giono, l'expérience de l'enfer. Il la transmet dans ce roman singulier qui porte aussi un regard implacable sur la société française et sur la colonisation. L'extrait proposé, en partie narratif, mais présentant aussi des réflexions et des sentiments, se situe au début du roman; le héros et narrateur Bardamu relate les épreuves que le commandant Pinçon fait subir à son régiment de cavalerie et exprime différents sentiments sur ce chef détesté, mais aussi sur ce que celui-ci révèle de l'humanité.
[...] Rien d'héroïque dans ces actions effectuées de nuit, qui ne mènent à rien d'autre qu'à un peu plus de soldats tués. Ce n'est du reste pas de combat que parle le récit de Bardamu, mais des sentiments de ces troupiers sacrifiés, que développe la longue et unique phrase du paragraphe deux. Ces sentiments, le narrateur les a faits siens complètement, nous y reviendrons dans la seconde partie. La souffrance des hommes et des animaux Il est peu question ici des blessures atroces des soldats, que de nombreux récits nous ont dépeintes. [...]
[...] De quoi est constituée l'humanité? Bien sûr de quelques êtres, pires que les requins et les crocodiles, ce qu'on a vu de plus vicieux chez les hommes Mais revenons à la comparaison de la fin du paragraphe deux: les requins qui passent entre deux eaux la gueule ouverte autour des bateaux d'ordures et de viandes pourrie qu'on va leur déverser au large S'il y a des prédateurs et des monstres, la viande pourrie qu'ils s'apprêtent à dévorer n'est-elle pas le reste de l'humanité, qui ne vaut guère plus qu'eux? [...]
[...] La rancœur et la compassion cohabitent dans cet extrait. Un légitime ressentiment Le commandant Pinçon concentre sur lui tout le ressentiment du soldat qui a subi ses ordres et sa cruauté, ses menaces, ses contraintes. Avec le ressentiment, il y a le regret de ne pas avoir pu librement l'insulter comme il le méritait, d'avoir tout enduré sans se rebiffer, mais aussi la conviction d'une exigence de mémoire, exprimée aux paragraphes deux et trois. Au paragraphe deux, le narrateur évoque l'espérance qu'on n'oublierait jamais, absolument jamais, qu'on avait découvert sur la terre un homme ( ) plus charognard que les crocodiles et les requins Ce commandant ne peut absolument pas être oublié, quoi qu'il ait pu advenir de lui. [...]
[...] L'extrait proposé, en partie narratif mais présentant aussi des réflexions et des sentiments, se situe au début du roman; le héros et narrateur Bardamu relate les épreuves que le commandant Pinçon fait subir à son régiment de cavalerie et exprime différents sentiments sur ce chef détesté, mais aussi sur ce que celui-ci révèle de l'humanité. Le commentaire analysera donc d'abord comment la cruauté de la guerre est mise en lumière, puis les sentiments complexes de Bardamu. La cruauté de la guerre La souffrance des simples soldats et celle des chevaux, qui ressort de manière pathétique dès la première lecture, vont de pair avec la cruauté, non pas de l'ennemi officiel, l'armée allemande, mais des officiers français, ici le commandant Pinçon et le capitaine de gendarmerie. [...]
[...] Avant de mourir, tous ceux qui ont vécu l'horreur de la guerre doivent porter témoignage du Mal dont est capable l'humanité. Le ressentiment de Bardamu n'a rien de personnel, il est indissociable de l'expérience collective qui justifie la fréquence des pronoms nous et on et d'une réflexion sur la conduite à conserver quand on a vécu l'enfer de la guerre. Un enseignement à tirer du malheur Pinçon est pour le narrateur une véritable découverte. D'apparence humaine, homme bâti comme vous et moi il est pire que les crocodiles et les requins affamés. [...]
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