L'une des plus grandes préoccupations des philosophes des Lumières fut de combattre l'obscurantisme, l'intolérance et le fanatisme religieux, que Voltaire appelait « l'infâme ». Cette lutte amena le philosophe de Ferney à défendre la cause de Jean Calas, protestant toulousain injustement accusé en 1762 d'avoir tué son fils sous prétexte qu'il allait se convertir au catholicisme, puis torturé jusqu'à la mort. C'est notamment par son essai intitulé Traité sur la tolérance en 1763 qu'il réhabilita Calas après sa mort. Jusqu'au chapitre XV de cette oeuvre, Voltaire argumente de manière directe en faveur de la tolérance. Puis, à partir du chapitre XVI, il essaie l'arme de l'argumentation indirecte : ainsi le chapitre XVI est-il un dialogue théâtral entre un mourant et un homme qui veut le convertir à tout prix. Quelle est la spécificité du chapitre XIX dans la lutte de Voltaire contre l'intolérance religieuse ? Pour y répondre, nous montrerons tout d'abord que Voltaire développe ici un petit apologue chinois à l'adresse des Occidentaux, dans lequel, comme nous le verrons ensuite, les chrétiens sont profondément caricaturés par l'auteur, contrairement au personnage du mandarin chinois, présenté comme l'incarnation de la tolérance. Ce contraste permet à Voltaire une dénonciation de l'intolérance, montrée en outre ici comme inhérente aux religions chrétiennes, et un éloge de la tolérance religieuse des Orientaux, modèle pour les déistes européens (...)
[...] Le détour exotique de Voltaire par l'Orient et par le passé ne trompe personne : l'auteur poursuit de la sorte le propos du Traité sur la tolérance mais ici par le biais d'une leçon orientale à l'adresse des Européens. Le lecteur français est en effet invité à comprendre le message que le récit de cette querelle religieuse lointaine permet de transmettre, ici et maintenant, au contemporain de Voltaire, dans le contexte particulier de l'affaire Calas, c'est-à-dire une leçon sur les rapports entre les protestants (le chapelain de Batavia et l'aumônier danois) et les catholiques (le jésuite et le jacobin) et entre les catholiques eux-mêmes. [...]
[...] Ils ne se pardonneront jamais, dit l'autre, je les connais. (l.40-41). Enfin c'est surtout par l'accumulation des questions rhétoriques formulées par le mandarin des lignes 24 à 25 que Voltaire met en évidence les contradictions entre l'attitude violente et intolérante des religieux et le message évangélique : n'êtes-vous pas tous trois chrétiens ? Ne venez-vous pas tous trois enseigner le christianisme dans notre empire ? C. Un appel en faveur de la tolérance et du modèle chinois, adressé aux puissants en Europe 1. [...]
[...] Enfin ils parlèrent tous trois ensemble, ils se dirent de grosses injures. L'honnête mandarin eut bien de la peine à mettre le holà, et leur dit : Si vous voulez qu'on tolère ici votre doctrine, commencez par n'être ni intolérants ni intolérables. Au sortir de l'audience, le jésuite rencontra un missionnaire jacobin ; il lui apprit qu'il avait gagné sa cause, l'assurant que la vérité triomphait toujours. Le jacobin lui dit : Si j'avais été là, vous ne l'auriez pas gagnée ; je vous aurais convaincu de mensonge et d'idolâtrie. [...]
[...] Enfin Voltaire s'appuie sur le comique de répétition : la première dispute en entraîne une autre lors de l'explication devant le mandarin, et une troisième dispute entre le jésuite et un jacobin éclate au sortir de la deuxième. À la présentation caricaturale des missionnaires chrétiens comme de furieux fanatiques répond la présentation éminemment élogieuse du calme mandarin, dans un contraste manichéen, qui est particulièrement patent quand Voltaire fait dire au mandarin qu'« on ne se fâchait jamais à la Chine (l.9). [...]
[...] Pour ce faire, Voltaire adopte la stratégie argumentative qui consiste à faire apparaître les contradictions entre l'attitude des chrétiens et le message évangélique du Nouveau Testament : par exemple, lorsque le Danois s'explique devant le mandarin, ses deux adversaires le regard[ent] en pitié (l.31) ; la pitié, qui est en réalité une vertu aux yeux du christianisme, est ici présentée comme péjorative sous les regards du jésuite et du Hollandais et l'attitude des religieux déconsidère ainsi cette vertu chrétienne. Qui plus est, le pardon chrétien est ici mis à mal par les deux catholiques à la fin du récit, qui en sont montrés comme incapables : jusqu'à ce qu'ils se pardonnent. [...]
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