D'emblée, le passage choisi pour cette étude prend une tonalité pathétique,
tant au niveau sémantique que stylistique : « Dès que la belle et désolée Saint-Yves fut avec son bon confesseur, elle lui confia qu'un homme puissant et voluptueux... » Le chapitre XVI débute sans préambule, « Dès que... » car torturée par la décision à prendre, Mademoiselle de Saint-Yves parle à « son confesseur » en toute confiance, d'un seul jet, en une phrase de huit lignes, traduisant et son émotion et le dilemme qu'elle vit. Ce drame cornélien est tel, qu'il ne souffre aucun délai ni aucune pause dans la diction.
(...)
[...] Le jugement de valeur concernant ce vilain homme repose sur une accusation arbitraire et péremptoire, non exempte de préjugés : C'est à coup sûr quelque janséniste. Nous sommes loin du tout à tous paulinien Nous savons que des critères religieux sont à la base de la querelle entre Jésuites et Jansénistes, et le jésuite pousse Mademoiselle de Saint-Yves à la délation, en utilisant un pouvoir inquisitorial : »Vous devriez bien me dire le nom de ce vilain homme Ici, l'emploi du conditionnel a une valeur modale à la fois de demande et de conseil atténué mais exprimé dans des termes clairs. [...]
[...] Le passage que nous expliquons présente trois mouvements importants : - Du début jusqu'à succomber : récit pathétique de la Saint-Yves . - Voilà un abominable jusqu'à épouser : mise en cause de «l'abominable pêcheur» qui a abusé d'elle. - Monseigneur jusqu'à le sauver : revirement du jésuite. Nous étudierons donc, dans ce passage, la satire de la société au niveau politique et religieux, car le trajet narratif de L'Ingénu progresse sur l'antithèse entre le bon Sauvage et les corruptions de la société du XVIIIème siècle. [...]
[...] Ainsi, la victime change de rôle et se retrouve en position d'accusée, seule contre ce représentant de la religion qui était pourtant son unique planche de salut. Le changement d'attitude du jésuite plonge Saint-Yves dans le désespoir le plus noir, au point qu'elle passe sans transition au discours direct : je suis perdue[ ] ; je n'ai que le choix du malheur et de la honte Le vocabulaire est absolu et hyperbolique, avec la mise en scène d'un choix impossible et sans issue, puisqu'il associe malheur et honte deux événements qui affectent douloureusement cette héroïne tragique. [...]
[...] Ce topos de l'incroyable est servi par un discours hyperbolique, qui est l'antithèse du discours précédent : C'est tout autre chose Comme pour le titre éminent donné au père La Chaise, le jésuite honore Saint- Pouange (ainsi nommé par Saint-Yves qui ne lui reconnaît aucun honneur), d'un Monseigneur de Saint-Pouange ! avec une exclamation nominale soulignant que le nom seul suffit à changer d'opinion sur l'homme, et à exprimer son indignation devant une telle accusation. Une nouvelle fois, le jésuite recourt au lien affectif pour accroître la confiance de Saint-Yves, mais cette fois ce lien est celui d'une filiation spirituelle avec lui: ah ! [...]
[...] Cette réaction pathétique inspire chez le Jésuite un semblant de compassion, et en bon acteur de théâtre, il adopte une réaction aussi outrée que celle de la jeune fille : Voilà un abominable pêcheur ! Le père Tout-à-tous n'hésite pas à mettre en cause l'homme qui a usé de son pouvoir pour contraindre ainsi la belle Saint-Yves à s'offrir à lui. L'argument ad hominem est dirigé contre la personne de cet adversaire qui fait souffrir cette pieuse jeune-fille, et au lieu de condamner la proposition répréhensible, le jugement glisse vers la désignation de l'homme lui-même, au point de demander son nom pour le dénoncer. [...]
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