Les modèles féminins, dans la mythologie grecque (Pandore) comme dans la Bible (Ève), sont marqués par le sceau de la dangerosité. Si quelques voix s'élèvent au XVIIème siècle pour critiquer la soumission des femmes et la conception du mariage (on songe à Molière dans L'École des femmes), si les précieuses revendiquent le droit à l'éducation, la situation n'a pourtant que peu évolué au XVIIIème siècle. En mondain qu'il est, Voltaire a fréquenté les salons de Mme du Châtelet et de Mme du Deffand, des femmes lettrées et émancipées, et, à l'époque où il compose ce texte, exilé au château de Cirey, il partage la vie d'Émilie du Châtelet, modèle des femmes cultivées de son temps. Il correspond aussi avec une femme d'exception comme Catherine de Russie et n'est pas indifférent aux idées progressistes et féministes. Dans cet extrait de Femmes, soyez soumises à vos maris, il aborde la question de l'inégalité des femmes vis-à-vis des hommes et de la dépendance des femmes à l'égard de leurs maris. L'extrait proposé rapporte le dialogue entre un abbé et une femme de l'aristocratie, la Maréchale de Grancey, en colère contre une phrase qu'elle a lue dans les Épîtres de Saint-Paul : "Femmes, soyez soumises à vos maris". Elle expose sa propre vision de la femme et blâme les hommes.
[...]
- L'originalité de ce texte consiste à donner la parole à une femme qui s'exprime à la première personne du singulier et évoque son cas personnel : "J'ai ouvert par hasard (...) un livre" (l.3), "Jamais Monsieur le maréchal ne m'a écrit dans ce style" (l.7-8).
- Cependant, la maréchale adopte un raisonnement inductif qui part de cas particuliers pour aller vers les relations hommes/femmes en général. Elle part de l'exemple de la femme de saint Paul ("Était-il marié ?" l.9), puis évoque son cas particulier : "Quand j'épousai M. de Grancey" (l.14) avant d'en venir aux femmes en général en utilisant la première personne du pluriel à partir de la ligne 16 : "Sommes-nous donc des esclaves ?". De même, elle exprime les désagréments de la condition féminine à la première personne du singulier (l.16 à 21) puis utilise la première personne du pluriel à partir de la ligne 22 pour généraliser son cas particulier à l'ensemble des femmes : "elle nous fait des organes différents" (...)
[...] J'ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui traînait dans mon cabinet ; c'est, je crois, quelque recueil de lettres ; j'y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à vos maris ; j'ai jeté le livre. Comment, madame ! Savez-vous bien que ce sont les Épîtres de saint Paul2 ? Il ne m'importe de qui elles sont ; l'auteur est très impoli. Jamais Monsieur le maréchal ne m'a écrit dans ce style ; je suis persuadée que votre saint Paul était un homme très difficile à vivre. [...]
[...] Il fallait que sa femme fût une bien bonne créature ; si j'avais été la femme d'un pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris ! Encore s'il s'était contenté de dire : Soyez douces, complaisantes, attentives, économes, je dirais : Voilà un homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises s'il vous plaît ? Quand j'épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d'être fidèles : je n'ai pas trop gardé ma parole, ni lui la sienne ; mais ni lui ni moi ne promîmes d'obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? [...]
[...] (l.16 à 21) traduit aussi son emportement. Attaque ad hominem contre saint Paul avec l'utilisation d'adjectifs péjoratifs, parfois renforcés de l'adverbe intensif : l'auteur est très impoli un homme très difficile à vivre un pareil homme (l.11) ou l'emploi dépréciatif de l'adjectif possessif : votre saint Paul (l.8). Termes violents et insultants pour parler des professeurs dans les couvents : des imbéciles (l.36) II. UNE PEINTURE SATIRIQUE DES HOMMES CONTRE UN TABLEAU SYMPATHIQUE DES FEMMES L'habileté de la stratégie argumentative de Voltaire consiste ici à donner directement la parole à une femme et à nous faire comprendre qu'il penche du côté des femmes en les présentant de manière plaisante, à l'inverse des hommes qui sont ridiculisés. [...]
[...] Au siècle suivant, les philosophes des Lumières reprennent à leur compte l'héritage du libertinage érudit, tandis que se développe parallèlement un libertinage des mœurs. B. Un réquisitoire contre la religion et l'éducation donnée aux femmes dans les couvents Contre l'enseignement de la religion : la maréchale manifeste un libertinage d'esprit lorsqu'elle prend ses distances par rapport à l'Église : elle ose contester saint Paul, en dépit de l'indignation de l'abbé qui se manifeste par la succession d'une phrase exclamative et d'une phrase interrogative Comment, madame ! [...]
[...] Un plaidoyer pour des relations hommes/femmes libérées Violente récusation du vocabulaire de l'esclavage et de la soumission grâce à des questions rhétoriques : et pourquoi soumises s'il vous plaît ? (l.14) ; Sommes-nous donc des esclaves ? (l.16) où l'emploi du terme hyperbolique esclaves cherche à provoquer l'indignation ; il faudra que je lui obéisse très humblement ? (l.28) ou à des exclamations ironiques : Soyez soumises à vos maris ! (l.12) ; Mais voilà une plaisante raison pour que j'aie un maître ! [...]
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