Le premier chapitre de Candide, autrement appelé incipit, remplit une fonction précise d'exposition en apportant au lecteur les trois données indispensables à la mise en route de l'oeuvre : des informations sur le personnage central Candide, d'autres sur le milieu social ? celui d'une aristocratie engluée dans ses préjugés ?, d'autres enfin sur le thème directeur, la critique de l'optimisme incarné par Pangloss (...)
[...] Ce rapport évoluera lentement, et la très progressive émancipation intellectuelle de Candide constitue l'un des centres d'intérêt du conte. La méthode critique de Voltaire est en place dès ce début : refusant de s'engager dans un combat d'arguments qui opposerait une autre thèse à celle des optimistes, il choisit l'arme de l'ironie, qui feint d'approuver pour mieux discréditer ; il ridiculise ses adversaires en reprenant leur vocabulaire et leurs modes de raisonnement et en les transposant dans des registres inadéquats. [...]
[...] Aux yeux de Voltaire, la noblesse allemande, plus encore que la française, est affectée de deux tares majeures, l'une entraînant l'autre : l'orgueil des origines et la pauvreté. Imbue de ses préjugés nobiliaires jusqu'au ridicule, cette classe se fait un culte de l'ancienneté de son nom, un nom risible et prétentieux : Thunder-ten-tronckh un nom où il y a du tonnerre et la rudesse de sonorités frustres. Elle nourrit des prétentions généalogiques exorbitantes, à savoir l'indignité du gentilhomme qui n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers alors que cela équivaut à des siècles. [...]
[...] Ensuite, une analyse du lexique permet de déchiffrer plus précieusement cette jeune âme qui va s'ouvrir sur le monde. Sur le plan moral, Candide est un adolescent paisible et inoffensif, il a les mœurs les plus douces : l'expression le dépeint tranquille, incapable de faire le mal, ni le bien d'ailleurs, désarmé donc, on le verra, face aux violences du monde. C'est aussi une figure transparente, incapable de duplicité, de dissimulation : sa physionomie annonçait son âme ; sa sincérité, sa franchise confinent à la naïveté, on le sent né pour être dupe. [...]
[...] En effet, les mots de Pangloss sont vides de tout poids de réalité, le monde tel qu'il est va son chemin d'un côté, de l'autre s'étale l'analyse de Pangloss, et les deux ne coïncident jamais. L'inadaptation des propos de Pangloss au réel, leur constante distorsion par rapport aux faits, constitue le thème fondamental de Candide. En faisant son philosophe désincarné, le narrateur le rend plus abstrait. Il ne le décrit pas, il l'ampute de toute présence physique, il ne le donne pas à voir. [...]
[...] Le raisonnement optimiste est dénaturé dans des relations de cause à effet fantaisistes : les jambes sont dites instituées pour être chaussées d'où le port des pantalons, et les nez faits pour porter des lunettes d'où la présence des lunettes. Suprême distorsion, la demi-misère, qui oblige à avaler toujours du porc, se transforme donc en un vrai délice de causalité : les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l'année ! La raillerie frappe ici l'abus du principe de causalité, qui établit entre les phénomènes des liens indémontrables. [...]
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