Dans sa Poétique, Aristote affirme au IVème siècle avant notre ère que tragédie et épopée sont les deux genres les plus nobles de la littérature. Il tisse des liens étroits entre les deux tant au niveau de l'histoire, des caractères que des ressorts mis en oeuvre, avec toutefois le constat de la supériorité de la tragédie sur l'épopée, en raison d'une part de la brièveté, de la densité et de l'unité de la tragédie, en raison d'autre part de la représentation tragique qui frappe plus directement les sens que ne le fait l'épopée (...)
[...] Cette description hautement énergique a donc pour dessein d'imprimer une image dans l'esprit des lecteurs, tout comme le récit de la tragédie dans l'esprit des spectateurs. Transition : Le livre II de L'Énéide a donc pour caractéristique de reprendre des personnages, des situations et des procédés qui auraient aussi bien leur place dans une tragédie. On trouve ici un matériel littéraire commun aux deux genres qui permet à Aristote de les rapprocher. Cependant, cette présence d'éléments épico-tragiques ne va pas sans poser un problème : si le matériel littéraire est volontiers le même, comme on vient de le voir, n'y at-il pas alors un risque de contradiction entre les finalités de la tragédie et celle de l'épopée ? [...]
[...] Enfin que la fermeture tragique que représente la chute de Troie permet l'ouverture épique qu'est la fondation de Rome. A. Un tragique lié à la situation d'énonciation du texte et au destin tragique de Carthage Il ne faut pas oublier en outre la situation d'énonciation des livres II et III : il s'agit du récit rétrospectif que fait Énée à l'adresse de Didon. Le fait que Virgile présente Énée comme un conteur tragique n'est pas contradictoire avec le fait qu'il le montre par ailleurs comme un personnage épique. [...]
[...] Ce personnage, dans sa réaction, est donc ainsi un relais textuel de la réaction de Didon et au-delà du lecteur pour Virgile. De la sorte, la mort de Priam engendre l' horror d'Énée au v.559, au point qu'il en est stupéfait : Obstipui (v.560). De même, lors de l'apparition de Créuse, Énée ressent l'horreur dans son sens étymologique d'effroi qui fait se dresser les poils et cette réaction suggère celle du lecteur, v.774 : Obstipui, steteruntque comae et vox faucibus haesit. [...]
[...] Or là encore, on peut dire que Virgile se garde bien de se priver du caractère spectaculaire que l'on trouve dans les tragédies et parsème la narration de traits descriptifs qui ont l'énergie de l'hypotypose Les apparitions fantastiques 3 Serpent, Hector, Vénus et Créuse Des morts particulièrement horribles Ainsi en est-il de la description de l'épisode de la mort de Laocoon, des v.199 à 228, où l'on voit les deux serpents surgir de la mer pour l'étouffer après ses deux enfants (cf. la statue que l'on peut voir au Vatican). Ainsi en est-il également de l'épisode du cheval et du massacre des Troyens la nuit au milieu des flammes. Ainsi en est-il de la mort de Priam, où Virgile va même jusqu'à faire une entorse à la vraisemblance au profit d'un effet pictural, puisqu'alors que Priam est tué dans son palais, on le voit aux v.557-8 : . Jacet ingens litore truncus, avolsumque umeris caput et sine nomine corpus. [...]
[...] O patrie, ô demeure des dieux, Ilion, remparts des Dardanides célèbres dans la guerre ! De même, Virgile infléchit la dernière apparition fantastique, celle de Créuse, dans un sens nettement pathétique, avec l'image du mari qui essaie en vail de saisir le fantôme de sa femme (v.792-3). C. Les dialogues 5 Enfin les nombreux passages de dialogues peuvent apparaître bien surprenants dans la narration épique car susceptibles de ralentir d'actions : monologue de Sinon, interventions de Vénus, Hector, Créuse, Transition : Si Virgile utilise des éléments tragiques qui se coulent aisément dans le moule de l'épopée il emploie aussi des éléments spécifiquement tragiques et qui semblent nuire à la visée de l'épopée : pourquoi ? [...]
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