L'Énéide est le développement d'une légende que Virgile n'a pas inventée. Cette légende est surprenante, mais le noyau en est assez simple. Lors du sac de Troie, les habitants sont tous exécutés ou bien réduits en esclavage. Mais certains s'échappent, conduits par un guerrier de prestige, Énée. Ils quittent l'Asie Mineure, errent ensuite sur la Méditerranée, s'attardent en Afrique, et finissent par atteindre l'Italie. Ils s'installent à l'embouchure du Tibre. Malgré les combats avec les indigènes, ils parviennent à s'établir dans le Latium. Le fils d'Énée, Ascagne, fonde la cité d'Albe, d'où, 300 ans plus tard, Rhéa Silvia sera expulsée, donnant naissance à Romulus et Rémus. Rome est donc fondée par les descendants d'Énée, de lointains rejetons de Troie (...)
[...] Le personnage du héros, fato profugus, fuyard par la volonté du destin, incarne profondément cette difficulté. C'est par lui que Rome doit exister, mais possède-t-il la liberté de renoncer à sa mission, de rester à Carthage et de faire chavirer les destins ? D'autres éléments du récit prennent une couleur philosophique: par exemple, les passions, le bonheur, l'héroïsme. Virgile, presque toujours, ne se donne pas comme maître de philosophie. Il n'en fait pas, contrairement à des auteurs comme Lucrèce, la matière de son poème. Cependant, les expériences de ses héros font naître des questions philosophiques. [...]
[...] Cela se retrouve dès les sept premiers vers de l'ouverture: Arma virumque cano, Troiae qui primus ab oris Italiam, foto profugus, Laviniaque venit litora, multum ille et terris jactatus et alto vi superum saevae memorem Iunonis obi ram ; multa quoque et bello passu, dum conderet urbem, inferretque deos Latio, genus une Latinum, Albanique patres, atque altae moenia Romae. Les premiers mots sont pour le héros; les derniers esquissent la silhouette de la Ville. Rome existe grâce à Énée, venu de Troie. Il s'agit d'une célébration des origines de Rome, cette Rome que le poète nomme ailleurs maxima rerum ou pulcherima rerum le plus grand, le plus beau de ce qui existe. II. L'Histoire Les Romains souffraient d'une sorte de complexe être venus dans l'Histoire après les Grecs. [...]
[...] Virgile s'inscrit donc dans la tradition épique. le maître des figures Un des vers les plus célèbres de l'Énéide trace l'esquisse d'Énée et de la Sibylle s'engageant sur le chemin des Enfers. Ibant oscuri sola sub nocte per umbram (Ils s'en allaient obscurs sous la nuit solitaire) Le poème L'audace consiste à avoir permuté les deux adjectifs (hypallage). Cela brouille l'image. Dans la pénombre des Enfers, êtres et objets manquent de netteté. L'imprécision est transposée par le sens. Et dans la dernière demeure, aucune compagnie n'est possible: c'est la description d'un monde écartelé par la solitude, où tout sépare les unités de sens les unes des autres, jusqu'à leur négation. [...]
[...] Entre ces deux moments, sept ou huit ans se sont écoulés. Le schéma le plus visible est la division en deux parties égales de six livres, interprétée comme une reprise en chiasme de l'oeuvre de Homère. Les six premiers livres sont le récit du voyage d'Énée. Il s'agirait donc d'une Odyssée. Les six suivants sont le récit de la guerre contre les indigènes. Il s'agirait donc d'une Iliade. IV. Hexamètres dactyliques Rythme ample. C'est le grand vers de la poésie antique, celui de l'Iliade et de l'Odyssée. [...]
[...] Le caractère distinctif du héros est la piété. Il est désigné comme Pius Aeneas dès les premiers vers. VII. Légende et histoire Virgile a choisi un sujet légendaire après avoir, semble-t-il, songé à célébrer des faits contemporains. Il a préféré le passé au présent. La légende est plus malléable, le passé plus noble. Maior e longinquo revuerentia (le passé est plus grand lorsqu'il vient de plus loin) Mais en choisissant la légende, Virgile n'a pas renoncé à l'Histoire, qui est le caractère majeur de l'Énéide. [...]
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