Montaigne a 55 ans au moment où il termine la rédaction des Essais, âge auquel la plupart des hommes de l'époque se préoccupent de leur mort, la vieillesse les touchant. Mais Montaigne a une vision singulière de la fin de la vie humaine, suite au sentiment d'avoir approché la mort douce et indolore lors de sa chute de cheval, événement narré au livre II chapitre 6. Il retranscrit ses convictions dans le dernier chapitre du livre III « De l'Expérience », de façon assez tardive, comme pour faire coïncider l'épisode de la mort avec le terme du livre.
Cet extrait s'articule en trois mouvements. Nous montrerons comment Montaigne définit une vision moderne de la mort : à l'image de la vie, celle-ci s'apparente à un voyage, un passage, un mouvement procédant par étapes, mélanges et antithèses.
Notre passage s'inscrit directement au sein d'une longue digression sur les habitudes personnelles de Montaigne. Pour autant cette peinture assez triviale du pur quotidien va servir de tremplin à une réflexion plus fine sur la vie et la mort qui se met subtilement en place à partir d'une allusion en apparence gratuite sur l'état des dents de Montaigne. L'auteur traite plus particulièrement ici de ses goûts en matière de consistance des mets. La tournure impersonnelle « il n'y a », ainsi que l'adverbe « généralement » énoncent sur le mode du badinage, et avec désinvolture les préférences alimentaires de Montaigne et la parenthèse ouverte par Montaigne vient pondérer la prise de position.
[...] Le thème de la vieillesse qui resémantise le substantif aage du paragraphe précédent apparaît comme dénominateur commun entre les deux paragraphes et permet de relire rétrospectivement sous un autre jour le propos en apparence trivial énoncé précédemment. Le paradoxe qui semble se mettre en place à travers l'encadrement par deux termes connotés positivement grâce puis bénéfice du verbe à connotation dysphorique il soustrait la vie pique le lecteur de curiosité et sert d'accroche à un argumentaire qui se veut décalé et moderne. [...]
[...] Montaigne met également en place une dialectique de la vieillesse et de la jeunesse désignée par une isotopie à travers l'expression : des plus actives la forme active du verbe tenaient et la métaphore hyperbolique premier rang périphrase emphatique la vigueur de mon aage observant l'évolution de son être et ici plus particulièrement de sa dent métonymique : cette partie de mon être afin de faire le tracé descendant, déclinant de sa vie : ainsi la forme passive sont déjà mortes qui induit l'idée de fin, dans le sens d'un arrêt de la vie, d'une inactivité totale, s'oppose de façon antithétique à la formulation hyperbolique du superlatif des plus actives . La trajectoire suivie par cette cheute qui forme un polyptote avec le verbe choir présent précédemment coïncide avec les topos de la vie comme voyage à travers le temps. [...]
[...] Par ainsi, dict Platon, la mort que les playes ou maladies apportent soit violente, mais celle, qui nous surprend, la vieillesse nous y conduisant, est de toutes la plus legere et aucunement delicieuse. Vitam adolescentibus, vis aufert, senibus maturitas. La mort se mesle et confond par tout à nostre vie : le declin præoccupe son heure et s'ingere au cours de nostre avancement mesme. J'ay des portraits de ma forme de vingt et cinq et de trente cinq ans ; je les compare avec celuy d'asteure : combien de fois ce n'est plus moy ! combien est mon image presente plus esloingnée de celles là que de celle de mon trespas ! [...]
[...] mes-huy adverbe de temps signifiant désormais impose une rupture : sachant aujourd'hui que la mort est naturelle, Montaigne ne peut formuler aucun autre souhait sous peine qu'il soit illégitime c'est-à-dire injuste. Les hommes phrase suivante, par la position sujet et l'indétermination, admettent un cas général. Ceux-ci ont une vision erronée de la vie, ce que le verbe accroire souligne. L'analogie dressée par la conjonction comme et l'adverbe aussi compare la vie et la taille des hommes qui auraient été d'une grandeur plus importante jadis. C'est-à-dire que de la même façon que la stature fut plus importante à une époque, la vie fut plus longue. [...]
[...] La modernité de Montaigne se situe dans sa position confiante vis-à-vis de la nature, sachant que ce dernier terme peut être compris dans le sens de Dieu Le monde est en perpétuel mouvement, mélangeant les contraires, et la mort en est un élément naturel, au même titre que la vie. C'est grâce à cette conception que Montaigne parvient à accepter la vieillesse et son terme. Mouvement III Le troisième et dernier mouvement s'apparente à un retour au premier mouvement de notre extrait. [...]
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