« À quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt » nous présente deux cavaliers, apparaissant, l'un sous la forme d'un « je », l'autre sous le prénom d'Hermann, galopant dans la forêt dans une scène nocturne. Alors qu'ils ne cessent de galoper, un dialogue semble se créer entre eux. Mais ce dialogue est étrange, leurs propos se contredisent absolument, tout d'abord assez brièvement puis avec de plus en plus d'ampleur. Leur sujet de discussion : l'affliction causée par la vie, le malheur de la mort.
Dès, lors, comment comprendre qu'un poème écrit avant la mort du son « ange » soit placé au cœur du recueil dédié à la douleur paternelle du deuil ? Quelle intimité nous livre ici le poète, à quoi renvoie le « je » et le personnage d'Hermann présents dans le poème ? Ne retrouve-t-on pas dans ce poème le bouleversement propre à l'état d'esprit du deuil, la désorientation du poète et de ce qui l'entoure ?
[...] Ainsi ce poème, bien qu'écrit avant la mort de Léopoldine s'insère de manière efficace dans le livre 4. Celui-ci est en effet le livre du deuil : or dans ce poème, la désorientation est présente partout, le bouleversement de tout ce qui est communément admis, touchant la nature évoquée dans le poème mais encore le lecteur lui-même, semble bien montrer un monde qui a perdu ses repères, un monde instable c'est-à-dire l'esprit endeuillé du père. De plus, dans ce poème Hugo nous livre son intimité la plus profonde puisqu'il s'agit ici d'un songe : Hermann et le je ne dialogue en fait pas mais disent en rêve, comme le montre le dernier vers, plaçant le mot rêve à la césure et les voix à la rime. [...]
[...] Venons-en maintenant à la figure d'Hermann, ainsi qu'à celle du je Nous l'avons dit à propos d'Hermann, le verbe paraître lui confère une existence assujettie à la vision subjective du je dissimulé derrière le pronom réfléchi me Mais ce n'est pas tout : la description du me je fais d'Hermann une ombre or, une ombre n'est pas matière, n'est pas corps. De même au vers 8 le poète écrit l'esprit profond d'Hermann est vide d'espérance : encore une fois il est évoqué par son esprit. A-t-il un corps ? Hermann a-t-il une existence, est-il réellement un personnage, où n'est-il que le produit d'une imagination ? Car enfin ses uniques manifestations sont orales, il semble n'être qu'une voix. Hermann ne serait-il qu'une projection mentale lui aussi, créé par le poète au même titre que les images décrivant la nature ? [...]
[...] Tout résonne comme dans un lieu sans fin, sans cloison. D'ailleurs les repères qui permettent ordinairement de se situer dans la nature, à savoir les astres, sont eux-mêmes source d'égarement puisque les étoiles volaient dans les banches des arbres : impossible donc de se fier aux astres pour s'orienter. D'ailleurs les cavaliers ne viennent de nulle part, semble-t-il, et ne vont nulle part : la traversée de la forêt, évoquée aux vers 3 et 14, ne semble jamais dirigée. Au vers 3 on nous dit Nos chevaux galopaient : aucun complément circonstanciel n'est là pour indiquer vers où. [...]
[...] Enfin on retrouve dans A quoi songeait les deux cavaliers dans la forêt le poète que l'on avait déjà dans Trois ans après et qui ne se sent plus capable de la grande poésie inspirée à laquelle il se livrait par le passé, sous l'expérience des tables tournantes : dans notre poème Hugo ne perçoit plus ce que lui dit la nature, les voix autrefois si claires ne sont plus qu'un murmure, qu'un balbutiement. Enfin, le poème se clôt sur Comme à travers un rêve ils [les morts] entendent nos voix : livrant sont rêve Hugo espère donc que Léopoldine l'entende, Hugo se fait donc fantôme communicant avec les morts, et dispersant par là son moi poétique dans l'infini, accomplissant ainsi le programme qu'il s'est fixé dans la préface. [...]
[...] La cinquième débute par Hermann reprit alors : [ ] les guillemets s'ouvrent et ne se referment qu'à la fin de la strophe, au vers 24. La sixième fait de même, s'ouvrant sur Et je lui dis : [ ] et ne se refermant qu'avec la fin de la prise de parole du je Aussi le lecteur a-t-il de quoi être surpris non seulement de la différence de traitement du poème XI et du poème XII, l'un évoquant un quotidien compréhensible par tous, l'autre traitant d'une scène nocturne se déroulant dans la forêt entre deux cavaliers mais aussi de ce que le poème ne lui parle pas directement à lui lecteur, mais entretiennent un discours en son sein, entre deux personnages qui peuvent lui paraître bien étrangers. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture