Victor Hugo, dans le premier tome du recueil des Contemplations, intitulé Aujourd'hui, se donne pour objet "la joie, cette fleur rapide de la jeunesse", opposant le premier tome au second qui est celui du deuil, de l'exil et de la mort. Le livre II du recueil, intitulé l'Ame en fleur, est consacré à la jeunesse et à l'amour. La plupart des poèmes sont inspirés par Juliette Drouet et Hugo évoque leurs premiers émois, leurs promenades dans la nature. Il immortalise aussi les moments de bonheur vécus à deux.
C'est le cas de la pièce 7, Nous allions au verger cueillir des bigarreaux, qui se présente comme un court poème en alexandrins et rimes plates dans lequel le poète fait le récit d'un moment de plénitude, la cueillette des cerises avec sa compagne, et le rapprochement des deux personnages, le poème se scellant par un baiser. Le poème constitue une églogue narrative, c'est-à-dire un poème bucolique où règnent, avant tout, le mouvement et l'action, qui met des personnages en scène pour les faire parler et agir. Un des poèmes du même livre se nomme d'ailleurs Eglogue (XII Nous errions, elle et moi, dans les monts de Sicile). L'églogue a pour visée la musicalité et l'idéal.
On peut s'intéresser au choix de l'églogue : comment permet-il au poète de placer un souvenir intime et heureux à la fois sous le signe de l'éternel et sous le signe de l'éphémère, et ainsi de capter un moment fugitif ?
On peut voir dans un premier temps en quoi ce poème est le récit d'une scène intime, simple et heureuse, puis en quoi il se présente comme le tableau symbolique de la jeunesse et de l'amour, un souvenir hors du temps dans un cadre bucolique. Enfin, on peut voir en quoi cette églogue constitue un tableau de l'éphémère permettant au poète de capter un moment fugitif par un appel aux sens (...)
[...] Mais l'image du buisson ardent associée au rouge du fruit a également une connotation sensuelle, le fruit, le rouge et le feu étant des symboles d'amour et d'érotisme; et la cerise étant un fruit sucré qui évoque la tentation et le bien-être. Le poème nous livre donc un tableau léger et épicurien, en même temps qu'élevé et lyrique. Ici donc le choix de l'églogue narrative favorise les allusions au corps car il s'agit d'un récit, et les références à l'Antiquité car il s'agit d'un genre de tradition antique: ainsi on pense à l'Aeneis de Virgile et aux Métamorphoses d'Apulée, les deux personnages rappelant Lucius et Photis. [...]
[...] Puis la jeune fille offre la cerise au poète entre ses dents, et le poète, en écartant la cerise, clôt le récit par un baiser. Le poème est donc le récit d'une montée dans l'arbre et d'un rapprochement des deux personnages au sein du feuillage une scène intime marquée par l'harmonie Les deux personnages sont d'emblée liés par le "nous" qui constitue le premier mot du poème. Durant les vers 2 à 5 "avec ses beaux bras" jusqu'à "flambe"), la jeune fille est observée par le poète qui admire sa beauté. [...]
[...] Les phrases sont courtes, la plus longue faisant un peu moins de trois vers (de "par moments" jusqu'à "sa bouche"), et simples, se composant d'un sujet, d'un verbe et d'un complément montais derrière elle", nous allions au verger cueillir des bigarreaux"). En effet, le poète évoque une scène dont la simplicité fait le charme, et ainsi le langage choisi est en adéquation avec la simplicité de la scène. Mais le langage est aussi en adéquation avec l'harmonie et la beauté de la scène. [...]
[...] Ce poème est aussi celui de la transparence. La jeune fille est fine, d'une blancheur pure et presque transparente, sa gorge est évoquée comme ondoyante, c'est-à-dire que le mouvement est une illusion provoquée par le mouvement de l'ombre et de la lumière sur la blancheur de sa peau: ainsi elle est aussi légère que l'air, les feuilles et la lumière. Elle est en fusion, en harmonie avec le cadre. Elle est presque insaisissable mais néanmoins captée par le poète, tout comme le baiser est pris au vol par le personnage La jeunesse, l'insouciance et les sensations sont éphémères Ce poème est celui de la jeunesse et de l'insouciance, qui sont éphémères. [...]
[...] En effet, les phrases sont courtes, la plus longue faisant moins de trois vers; le poète use fréquemment de la parataxe en juxtaposant des images, des impressions: ainsi les vers et 6 sont formés de trois courtes phrases liées par des points virgules. L'une a pour sujet "les feuilles", l'autre "sa gorge", la troisième "ses petits doigts". Les parties du corps, par métonymie, sont à plusieurs reprises sujets des verbes, ce qui montre une attention portée aux détails, l'œil attiré par les doigts ou la bouche, oubliant le corps dans son ensemble: "ses doigts cherchaient", "ma bouche riait" Hugo mime donc la fragmentation et la fugacité de la perception et du souvenir. [...]
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