Lecture analytique de l'incipit de l'Ecume des jours de Boris Vian.
Sommaire
I) Un univers familier
A. Un cadre banal B. La cérémonie de la toilette
II) La présence de l'insolite
A. Vie des objets B. Vie organique C. Pouvoir créateur du langage
III) Un personnage étonnant
A. Culture de son corps B. Un personnage de bande dessinée C. Atemporalité D. Vacuité
Conclusion
Extrait analysé
Colin terminait sa toilette. Il s'était enveloppé, au sortir du bain, d'une ample serviette de tissu bouclé dont seuls ses jambes et son torse dépassaient. Il prit à l'étagère de verre, le vaporisateur et pulvérisa l'huile fluide et odorante sur ses cheveux clairs. Son peigne d'ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l'aide d'une fourchette dans de la confiture d'abricots. Colin reposa le peigne et, s'armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. Il devait recommencer souvent, car elles repoussaient vite. Il alluma la petite lampe du miroir grossissant et s'en rapprocha pour vérifier l'état de son épiderme. Quelques comédons saillaient aux alentours des ailes du nez. En se voyant si laids dans le miroir grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau et, satisfait, Colin éteignit la lampe. Il détacha la serviette qui lui ceignait les reins et passa l'un des coins entre ses doigts de pied pour absorber les dernières traces d'humidité. Dans la glace, on pouvait voir à qui il ressemblait, le blond qui joue le rôle de Slim dans Hollywood Canteen (1). Sa tête était ronde, ses oreilles petites, son nez droit, son teint doré. Il souriait souvent d'un sourire de bébé, et, à force, cela lui avait fait venir une fossette au menton. Il était assez grand, mince avec de longues jambes, et très gentil. Le nom de Colin lui convenait à peu près. Il parlait doucement aux filles et joyeusement aux garçons. Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du temps il dormait.
(1) Hollywood Canteen : film américain de Delmer Danes (1944)
I) Un univers familier
A. Un cadre banal B. La cérémonie de la toilette
II) La présence de l'insolite
A. Vie des objets B. Vie organique C. Pouvoir créateur du langage
III) Un personnage étonnant
A. Culture de son corps B. Un personnage de bande dessinée C. Atemporalité D. Vacuité
Conclusion
Extrait analysé
Colin terminait sa toilette. Il s'était enveloppé, au sortir du bain, d'une ample serviette de tissu bouclé dont seuls ses jambes et son torse dépassaient. Il prit à l'étagère de verre, le vaporisateur et pulvérisa l'huile fluide et odorante sur ses cheveux clairs. Son peigne d'ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l'aide d'une fourchette dans de la confiture d'abricots. Colin reposa le peigne et, s'armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. Il devait recommencer souvent, car elles repoussaient vite. Il alluma la petite lampe du miroir grossissant et s'en rapprocha pour vérifier l'état de son épiderme. Quelques comédons saillaient aux alentours des ailes du nez. En se voyant si laids dans le miroir grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau et, satisfait, Colin éteignit la lampe. Il détacha la serviette qui lui ceignait les reins et passa l'un des coins entre ses doigts de pied pour absorber les dernières traces d'humidité. Dans la glace, on pouvait voir à qui il ressemblait, le blond qui joue le rôle de Slim dans Hollywood Canteen (1). Sa tête était ronde, ses oreilles petites, son nez droit, son teint doré. Il souriait souvent d'un sourire de bébé, et, à force, cela lui avait fait venir une fossette au menton. Il était assez grand, mince avec de longues jambes, et très gentil. Le nom de Colin lui convenait à peu près. Il parlait doucement aux filles et joyeusement aux garçons. Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du temps il dormait.
(1) Hollywood Canteen : film américain de Delmer Danes (1944)
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Extraits
[...] car elles repoussaient vite. Nous sommes plongés dans un univers décalé où le sang ne coule pas, où la mutilation est esthétique, où la prolifération est reine. Nous sommes en présence d'une image inversée souillaient (terme impudique) rentrèrent or ici le sentiment de honte précède celui de la pudeur : Vian personnifie les comédons qui, se voyant si laids dans le miroir grossissant rentrèrent prestement sous la peau Nous sommes plongés dans une sorte de conte de fées : tout participe, tout est vivant. [...]
[...] Il soigne son style. Une expression clôt le passage : le reste du temps il dormait ce qui renvoie à un vide existentiel. L'auteur démystifie aussi le travail en tant que valeur. C'est la maladie de Chloé qui poussera Colin à l'esclavage du travail (lié à la mort). Dans l'incipit, il se présente comme un bourgeois rentier. L'expression à peu près est floue en apparence. En fait, Vian l'emploie à dessein pour rendre ce monde imaginé plus vraisemblable car un monde n'est jamais parfait et c'est parce que ce monde est vraisemblable que l'insolite apparaît. [...]
[...] La vie semble vécue comme un jeu, sans engagement. D'ailleurs le nom du héros Colin fait écho à ColinMaillard, un jeu enfantin. Ainsi Colin apparaît comme un grand enfant maniaque : l'auteur insiste sur gentil douceur joyeusement bonne humeur connotant sa candeur et sa naïveté. L'écho des phrases renvoie à un style primaire, les juxtapositions brèves soulignent la banalité du personnage. Vacuité Ce n'est qu'un reflet vu dans la glace, un élément du décor. Il est une métaphore de la création littéraire : c'est le regard de l'auteur qui lui donne vie et le définit au fil des phrases. [...]
[...] Il s'était enveloppé, au sortir du bain, d'une ample serviette de tissu bouclé dont seuls ses jambes et son torse dépassaient. Il prit à l'étagère de verre, le vaporisateur et pulvérisa l'huile fluide et odorante sur ses cheveux clairs. Son peigne d'ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l'aide d'une fourchette dans de la confiture d'abricots. Colin reposa le peigne et, s'armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. [...]
[...] On note que le héros s'adonne à une sorte de fixation sur son corps de jeune adolescent. Boris Vian se réfère implicitement aux zazous de l'époque : cette onomatopée (d'après a-ou de certains chants de jazz) était le nom donné pendant la deuxième guerre mondiale à des jeunes gens passionnés de jazz et à l'élégance tapageuse. II/ La présence de l'insolite Vie des objets Boris Vian plonge le lecteur dans un univers insolite. Il prit à l'étagère de verre alors que l'on s'attend à l'expression Il prit sur l'étagère Cette préposition à induit un rapport de possession, une sorte de rapt comme si le vaporisateur appartenait à l'étagère et que Colin devait s'en emparer par la force. [...]