José Maria de Heredia, l'un des Parnassiens les plus célèbres, puisera dans l'Antiquité un grand nombre des sonnets rassemblés ultérieurement dans le recueil "Les Trophées". Ces Trophées (1893) sont en eux-mêmes une démonstration remarquable des idées du Parnasse littéraire. Heredia se sert d'une forme très codifiée, très stricte, le sonnet régulier, pour ciseler des poèmes superbes où il narre un épisode mythologique ou historique — et son génie propre est sans doute d'avoir réussi à faire tenir en quatorze alexandrins des textes à tonalité épique, qui demandent habituellement une grande longueur pour se déployer.
Ainsi, le sonnet "Après Cannes" (publié d'abord dans "La Revue des Deux Mondes" en mai 1890) raconte de manière très concise les conséquences de la désastreuse bataille de Cannes, qui vit, en 216 avant J.-C. les armées romaines mises en déroute par l'armée d'Hannibal, pourtant inférieure en nombre, durant la Deuxième Guerre punique.
[...] La troisième phrase du poème s'ouvre sur la locution en vain marquant dès le début l'échec des mesures prises pour s'assurer du soutien des dieux. La ville apparaît dès lors comme abandonnée par ses puissances tutélaires. Les vers 6 et 7 utilisent beaucoup le vocabulaire latin : lectisterne grand pontife oracle sibyllin ce qui montre la grande familiarité d'Heredia avec la civilisation romaine. Lectisterne particulièrement, par ses sonorités étranges, fait penser à quelque cérémonie magique, idée renforcée par la formulation imprécise : faire un lectisterne III. [...]
[...] Le vers 11 continent une énumération très intéressante : le poète fait une liste de ceux qui se lamentent : l'aïeul, la veuve, l'orphelin Cette énumération est d'abord une gradation (du plus âge au plus jeune), qui indique que toute la population se lamente (l'article défini singulier permet une telle généralisation par ailleurs), mais ce qui révèle aussi qu'il n'y a plus aucun homme en âge de porter les armes dans la cité. Les hommes ont disparu de la ville, image particulièrement symbolique du désastre subi. Le verbe que commandent ces sujets est rejeté au vers suivant c'est le troisième enjambement du poème provoquant l'effet déjà mentionné de déconstruction de la syntaxe. L'on peut également noter, au vers l'expression en deuil qualifiant Rome, ce qui transforme ce terme en une synecdoque pour les habitants. [...]
[...] Rome, ainsi peinte par Heredia, n'a plus rien d'une ville triomphante, glorieuse et arrogante ; elle ferait, dans ce sonnet majestueux, penser à une bête que l'on apprête pour le sacrifice final qui apaisera la colère des dieux. L'image est magnifique, donnant la mesure du talent d'Heredia pour l'évocation historique, et l'on se moque finalement que la réalité ne se soit pas déroulée comme cela, tant l'effet de catastrophe irréparable est saisissant pour le lecteur. Annexe Après Cannes Un des consuls tué, l'autre fuit vers Linterne Ou Venuse. [...]
[...] Les bons citoyens, ceux qui devaient combattre pour la cité, ne sont plus là. Le vers 9 introduit la dernière image du poème, celle d'un peuple nombreux massé à une extrémité de la cité, le soir, attendant de voir surgir le chef carthaginois. Le complément circonstanciel de lieu chaque soir est le seul élément de transition avec ce qui précède, et qui semblait se dérouler immédiatement après la bataille au mépris d'ailleurs du réalisme, puisque, en 216 avant notre ère, il fallut plusieurs jours pour que la nouvelle de la défaite parvint à Rome. [...]
[...] les armées romaines mises en déroute par l'armée d'Hannibal, pourtant inférieure en nombre, durant la deuxième guerre punique. Plutôt que d'évoquer la bataille elle-même, Heredia se concentre sur les événements découlant de la défaite : les morts, la terreur dans le peuple romain, l'attente angoissée d'Hannibal qui, ainsi que l'histoire nous l'apprend, ne viendra jamais à Rome mais préférera aller s'établir à Capoue. Nous verrons dans un commentaire linéaire le fonctionnement de ce poème et les procédés utilisés pour peindre le désastre romain. I. [...]
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