Le poème de Tristan Corbière « Le Crapaud », contenu dans le recueil Les Amours Jaunes, recueil qui serait resté dans l'oubli sans la double réhabilitation de Paul Verlaine et, plus tard, des surréalistes, met en place une esthétique très particulière pour trois raisons majeures. Cette esthétique est rendue possible par le fait qu'il adopte une forme grinçante, il refuse délibérément tout lyrisme et enfin, il pratique un jeu d'oppositions très tranchées. Nous verrons comment le poète, de son vrai nom Edouard-Joachim Corbière y parvient-il.
Le crapaud étant connu pour les sons disgracieux qu'il émet surtout la nuit - son coassement, mot emprunté du grec « koax » et d'origine onomatopéique.
Corbière se propose de souligner cette discordance. Il importe alors pour lui de faire grincer la forme du poème en inversant l'architecture même du sonnet traditionnel et en distordant le plus possible le mètre choisi, l'octosyllabe.
[...] Cette inversion participe d'un point de vue provocateur : le bestiaire choisi met à l'honneur un animal connoté négativement, mais auquel Corbière prête des qualités de chanteur: Vers 1 et vers 4 Un chant vers 11 Il chante Pourtant, ce chant s'inscrit dans une métrique octosyllabique placée sous le signe de la distorsion; nombreux sont alors les vers qui proposent un rythme haché, écho direct (le mot écho est d'ailleurs employé au vers de l'absence de grâce du chant du crapaud. Par exemple le vers rythmé 3/1/2/2 : -Ca se tait : Viens, c'est là, dans l'ombre . Ou encore le vers 11, rythmé 2/2/2/2 : -II chante.-Horreur!! [...]
[...] Ainsi Corbière ouvre-t-il son poème par la perception auditive qui correspond aux deux premiers tercets, puis sa compagne exprime son horreur lorsqu'elle voit le crapaud (vers 7 à 12). Enfin, le crapaud au vers 13 réintègre la cachette d'où il était sorti: Non, il s'en va, froid, sous sa pierre Les césures les plus franches étant là surtout pour marquer les trois interventions horrifiées de la compagne du poète (vers et 11). Ces césures sont d'ailleurs toutes marquées par des exclamations qui vont crescendo: il y a même un double point d'exclamation pour la troisième. [...]
[...] Enfin, Corbière utilise aussi tout un jeu d'oppositions qui a pour but de dévaloriser les symboles les plus classiques et de créer des oxymores saisissants. La représentation même du poète, sujet lyrique par excellence, est dévalorisée: il apparaît aux vers 8 et 9 et son identification au crapaud, proclamée au vers final, est ainsi déjà annoncée: Près de moi, ton soldat fidèle! Vois-le, poète tondu, sans aile, Le poète n'est donc porteur d'aucune noblesse, il est tondu ce qui peut signifier à la fois sa mise à nu, son humiliation, sa pauvreté; et il est aussi sans aile ce qui marque nettement l'impossibilité de toute envolée lyrique (voir le poème de Baudelaire L'Albatros). [...]
[...] - Horreur pourquoi? La forme est donc grinçante comme pour mieux accepter en apparence le point de vue communément adopté selon lequel le chant du crapaud est fondamentalement disgracieux. Dans cette optique le poète se propose aussi de tourner délibérément le dos à toute forme de lyrisme: aussi plante-t-il un décor inhabituel auquel s'ajoutent de nombreuses phrases nominales et des césures qui accentuent un rythme haché. En effet, le décor, dès l'ouverture du vers est volontairement oppressant: Un chant dans une nuit sans air Et la présence, pourtant facteur de lyrisme facile, de la lune est d'emblée dévalorisée. [...]
[...] Tristan Corbière, Le Crapaud Le poème de Tristan Corbière Le Crapaud contenu dans le recueil Les Amours Jaunes, recueil qui serait resté dans l'oubli sans la double réhabilitation de Paul Verlaine et, plus tard, des surréalistes, met en place une esthétique très particulière pour trois raisons majeures. Cette esthétique est rendue possible par le fait qu'il adopte une forme grinçante, il refuse délibérément tout lyrisme et enfin, il pratique un jeu d'oppositions très tranchées. Nous verrons comment le poète, de son vrai nom Edouard-Joachim Corbière y parvient-il. Le crapaud étant connu pour les sons disgracieux qu'il émet surtout la nuit - son coassement, mot emprunté du grec koax et d'origine onomatopéique. Corbière se propose de souligner cette discordance. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture