« Les Tragiques » sont une œuvre poétique et pamphlétaire composée, par un chrétien protestant, Agrippa d'Aubigné, dans les décennies qui suivirent le massacre de la saint Barthélémy et les guerres de religion déchirant les chrétiens. Le texte ne sera publié qu'en 1616. En sept livres, le poète brosse un tableau d'abord réaliste et vaticinant, virulent et accusateur, des conséquences religieuses et politiques de ce conflit fratricide, avant de s'apaiser dans la promesse du salut par le Dieu aimant et éternel.
Dans le livre II, intitulé « Les Princes », que nous étudierons ici, d'Aubigné dénonce avec violence la décadence des mœurs de la cour des rois catholiques, celle d'Henri III notamment. Nous allons examiner, dans une première partie, la critique du poète et ses fondements politico-religieux, puis, dans une seconde partie, nous verrons la situation littéraire de ce texte élaboré en un temps et en un style charnière entre la Renaissance et la modernité, entre la Pléiade et Malherbe, la « Défense et illustration de la langue française » par du Bellay et Fénelon dans sa critique de la versification française. Au XIXe siècle, Sainte-Beuve sortira cette œuvre de l'oubli et Baudelaire, Lautréamont en salueront les accents puissants et personnels.
[...] Il est blessé, meurtri, peut-être est-il en train de mourir. Il fait venir le juge du lieu et trop faible pour écrire lui-même, lui dicte les premières strophes, sous le souffle lyrique de l'ultime affrontement. Le texte débute par une expression de volonté, Je veux, à coups de traits de la vive lumière Le ton, testamentaire et véhément, résonne implacablement pour l'avenir, au-delà du tombeau pressenti. Le texte débute par la volonté personnelle affirmée du poète. Le je qui n'est pas celui du masque kaléidoscope et complexe de l'écrivain comme le je est un autre rimbaldien, qui n'est pas non plus le je d'introspection de la Divine comédie de Dante, premier grand monologue intérieur de la littérature européenne, non, ce je est celui de l'engagement personnel, de la déclaration publique, de l'apostrophe défiant l'adversaire. [...]
[...] Si l'ensemble est classique, ces vers sont le talent d'Aubigné que défendra Sainte-Beuve, au XIXe. Une inspiration poétique soumise à seule règle de la beauté, seul étalon poétique recevable à travers les siècles : Que je sois ta victime, ô céleste beauté Conclusion En publiant ce texte en 1616, d'Aubigné n'est plus dans son siècle et les théories de Malherbe sur la mesure poétique, renvoient Les Tragiques à un temps révolu, aux calandres grecques, à l'oubli. Pourtant, ses accents d'unité nationale, de vérité évangélique, ainsi que son talent purement littéraire, en font une œuvre de premier plan de la poésie française du XVIIe siècle. [...]
[...] Dans un panorama de la poésie européenne, d'Homère à Apollinaire, en passant par Pétrarque, la Pléiade jusqu'à Baudelaire, d'Aubigné est un poète qui doit être cité. [...]
[...] La profonde accusation que le poète entend porter à d'autant plus de force qu'il s'y met tout entier, tout entier et tout nu comme l'écrit Montaigne dans sa Préface au lecteur . Mais ce je est aussi le pronom de l'inspiration poétique intime. Quelles décennies auparavant, sept poètes français, dont Ronsard et Du Bellay, réunis dans le groupe de la Pléiade mèneront une réflexion sur la création poétique, la langue, l'inspiration, influencée par l'humanisme de la Renaissance et, en particulier, la parution en français de L'Art poétique d'Horace. [...]
[...] Les références à la littérature et à l'histoire classiques sont nombreuses dans ce Livre II : Térence, le théâtre grec avec ses cothurnes, Tacite, Néron et Suétone, Hérodote, Cicéron, et Anange du mot grec ananxè qui signifie nécessité. Cependant, bien que l'influence humaniste soit forte, d'Aubigné n'est pas dans la simple imitation de la poésie classique. Certes, les images humanistes sont nombreuses et érudites –comme les images bibliques d'ailleurs encore plus décisives pour le propos moral du poème- mais ce n'est pas l'essentiel. Le cœur poétique de cette œuvre est sa substance métaphorique et musicale, son expression purement sentie. D'une telle modernité parfois que nous pourrions en désigner Baudelaire comme auteur ! [...]
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