1946, 1960, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, Lee Harper, J'irai cracher sur vos tombes, Vernon Sullivan, racisme anti-Noirs, Sud des États-Unis, lynchage, aspect narratologiques, roman, situation d'énonciation
Les accusations de viol de femmes blanches étaient le prétexte principal des lynchages (voir, à ce sujet, les travaux d'Ida B. Wells, notamment). En gardant cette thématique en tête, l'exercice de la comparaison peut mettre en lumière certains aspects des deux romans et mener à une compréhension plus fine de leurs enjeux et leurs méthodes disparates. Cette analyse portera sur deux aspects formels et narratologiques en ce qu'ils informent le traitement du thème et la position « cosmologique » de chaque roman. Il s'agira de la question de la situation d'énonciation et de celle du genre.
[...] Et ils ne me descendraient pas comme ils avaient descendu mon frère ». Le lecteur en déduit donc que la vengeance de Lee consiste à duper ses fréquentations blanches, qui déversent leur racisme en sa présence sans se douter de rien, et à coucher avec des femmes blanches issues de la bourgeoisie en échappant au châtiment qui a été réservé à son frère, comme à bien d'autres hommes noirs dans sa position. Il faut attendre le chapitre XVII, soit la toute dernière partie du roman, pour comprendre que Lee veut assassiner les sœurs Asquith, et non simplement en épouser une et rendre jalouse l'autre avant de leur révéler qu'il est Noir. [...]
[...] The Red Record: Tabulated Statistics and Alleged Causes of Lynching in the United States. 1895. [...]
[...] D'une manière intrigante, l'intrigue constitue en une sorte d'inversion de la trame classique du rape and revenge. Défini par Carol J. Clover dans Men, Women and Chainsaws (en particulier le chapitre « Getting Even »), le rape and revenge est une sous-catégorie emblématique du cinéma et de la littérature d'exploitation, dans lequel on montre les détails sordides d'un viol, avant que la victime ne devienne héroïne et inflige sa vengeance de manière tout aussi violente. Ici, le viol (le consentement est presque toujours très douteux dans les rapports qu'entretient Lee) est lui-même une vengeance pour un meurtre censé vengé un viol qui n'a jamais eu lieu. [...]
[...] Des progrès ont-ils vraiment été faits, comme semblent l'indiquer la longueur des délibérations du jury et l'élimination d'Ewell, à la forte portée morale dans la vision manichéenne qui est celle du roman trahit un regard résolument blanc sur les événements : une satisfaction immédiate qui apaise la conscience (la mort d'Ewell, Robinson vengé) mais sans rien changer matériellement. C'est le cas aussi dans Tombes. Lors des derniers chapitres, le narrateur et même la perspective changent. Le récit est soudain relaté à la troisième personne, du point de vue des policiers qui poursuivent Lee. Puis le narrateur omniscient décrit le lynchage de Lee, dans le dernier chapitre qui n'est constitué que d'un bref paragraphe. [...]
[...] Comme si cela ne suffisait pas, son auteur va beaucoup plus loin que Harper Lee pour fabriquer - paradoxalement - l'authenticité de son roman. En effet, Boris Vian s'est fait passer pour simple traducteur ; l'auteur, Vernon Sullivan, est censé être afro-américain. Par-delà cette information méta-textuelle et la position de Vian et du narrateur - qui informent toutefois grandement la lecture - l'authenticité est fabriquée dans le texte-même, par le style. En effet, Vian emploie de nombreux américanismes, des expressions qui sont censées passer pour de mauvaises traductions, mot pour mot. [...]
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