I- Une argumentation efficace et satirique :
1) La composition du passage au service de la démonstration : le texte est composé de trois paragraphes, avec des phrases très longues ? les paragraphes 1 et 3 ne font qu'une seule phrase ? et le style coupé est utilisé dans les deux derniers. Le premier répond à More en s'appuyant sur l'exemple français, à l'époque des guerres d'Italie, à un moment où le royaume de France est le plus puissant d'Europe. Le second relate un exemple fictif, celui des Achoriens, qui annonce le thème de l'utopie, et démontre que l'ambition des rois amène à l'anarchie et tôt ou tard à la capitulation ou à la rébellion ; le dernier enfin fait le blâme de la guerre et le portrait d'un roi philosophe ; il conclut ainsi la démonstration. Mais la réponse de More aussi bien que la question de Raphaël indiquent clairement que la réalité est bien différente. Voilà pourquoi ce discours se place entièrement sous le trait hypothétique, avec un emploi récurrent du conditionnel, « je me lèverais », « je proposerais », et parfois de subordonnées conditionnelles, comme au début du dernier paragraphe, ce qui donne une connotation ironique au passage.
2) L'opposition entre la modestie du philosophe et l'orgueil des rois : L'orateur de ce discours s'implique puisque celui-ci est écrit à la première personne, et reprend en quelque sorte l'adage de Platon : seul un roi philosophe peut gouverner avec sagesse ; les autres, trop imbus de leur personne, n'acceptent aucun conseil. Aussi Raphaël utilise-t-il à dessein une expression qui le rabaisse, « moi, un homme de rien », aussitôt après avoir souligné l'orgueil des puissants et des princes : « tant d'hommes distingués rivalisent d'ingéniosité pour préparer la guerre », ces hommes sont les courtisans, les conseillers, les chefs militaires, qui profitent ainsi, en soutenant les « ambitions belliqueuses » des rois, des privilèges que ces derniers leur accordent. (...)
[...] Il démontre aussi que cette conquête est éphémère et aléatoire puisqu'elle est constamment contestée, et que le conquérant finit toujours par la perdre, comme le montre le paragraphe 2. Ainsi la seconde phrase de celui-ci est très longue, et multiplie les procédés d'accumulation, les parallélismes et les anaphores, avec une succession de subordonnées complétives qui viennent se greffer sur le verbe constater correspondant aux véritables charges qui pèsent sur le despote, et qui aboutissent à la thèse, ce qui en fait un véritable réquisitoire (More était un grand juriste). [...]
[...] Conclusion Ce passage propose donc un discours assez original par son humour et son ironie, mais la dénonciation et la philosophie humaniste sont tout aussi présentes. L'auteur, par l'intermédiaire de ce voyageur philosophe, critique sévèrement les despotes et prend le parti du peuple, en faisant l'éloge de la paix et de la justice sociale. A l'image de la première partie de L'Utopie, ce texte convainc donc son destinataire, l'auteur lui-même, mais aussi le lecteur, que l'ambition démesurée des rois est à la fois inacceptable et illégitime, au regard du bonheur de la nation. [...]
[...] Le personnage principal de cette œuvre, Raphaël Hythlodée, est une sorte de philosophe qui a beaucoup voyagé et beaucoup appris, et qui connaît les langues anciennes, le grec en particulier, comme l'auteur. Il est un peu l'archétype de l'humaniste, celui qui peut rendre service aux rois, et non mettre à leur service Dans cet extrait du début de l'œuvre, Raphaël tente de démontrer à More, qui lui demande de conseiller le prince, que si ce dernier n'est pas philosophe, il ne voudra pas des conseils d'un philosophe. Nous verrons que ce passage présente une argumentation efficace et satirique, puis qu'il propose également un blâme et un plaidoyer. [...]
[...] Par un retournement de situation assez singulier, c'est donc le peuple qui a imposé la sagesse à son roi : ils prirent enfin un parti et donnèrent courtoisement le choix à leur roi mais l'adverbe courtoisement est ironique, comme l'euphémisme donnèrent courtoisement le choix puisque cette expression désigne en fait la révolte des Achoriens. L'auteur met donc le peuple au centre du débat, comme souvent dans l'œuvre. Les mots peuple et roi sont les deux mots les plus employés dans ce passage et ils sont clairement opposés dans les trois dernières phrases ; il y a ainsi une dimension politique et sociale dans ce texte. On observe ainsi que tout le paragraphe trois est construit sur cette opposition, renforcée par des accumulations et des parallélismes, avec un changement à partir des deux points. [...]
[...] II Un blâme du despotisme et un plaidoyer en faveur du peuple : Un réquisitoire contre la vanité et l'inconséquence des tyrans : pour le sage, un roi ne doit pas étendre les bornes de son territoire, surtout si celui-ci est déjà très vaste, comme c'est le cas de la France, à l'époque. Un seul homme ne peut pas bien administrer un trop grand territoire. C'est la thèse du texte et elle apparaît de manière insistante à trois reprises, une fois dans chaque paragraphe : le seul royaume de France étant presque trop grand pour bien l'administrer ; l'attention du roi, partagée entre deux royaumes, s'appliquait insuffisamment à chacun d'eux ; son domaine actuel est dès à présent assez et trop étendu pour lui . [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture