Thomas D’Aquin, Somme théologique

Thèmes abordés

Thomas D'Aquin, Somme théologique, vertu d'équité, l'esprit de la loi, justice

Résumé du document

L'instauration des lois suffit-elle à garantir la justice et le bien commun, pour peu que le législateur les ait à l'esprit?
Une réponse affirmative oublie que les lois concernent l'universel, ou au moins le général dans une société, alors que les actes humains sont, comme le souligne Thomas d'Aquin, « variable à l'infini ».
Il est donc prévisible que, dans certains cas, la loi semble inapplicable.
On lui préférera l'équité, qui se réfère au bien commun: il s'agit alors de choisir l'esprit de la loi contre sa lettre. De telles situations, présentées comme exceptionnelles, n'indiquent pas que la loi serait mal faite; elles révèlent simplement que certains cas demandent à être jugés, non selon la lettre, mais selon l'esprit de la loi.

Extraits

[...] Grâce à la distinction opérée entre la lettre et l'esprit de la loi, Thomas d'Aquin montre ici que les lois, même si elles ne sont pas sans défaut, peuvent être maintenues sans qu'il soit besoin de les modifier. Des lois imparfaites ne condamnent pas la justice à être également imparfaite, dès lors que les juges sont capables de reconnaître cette imperfection et de la corriger lorsque les cas singuliers l'exigent. Le rôle de la jurisprudence est alors d'améliorer le droit institué: sans doute la perfection reste-t-elle toujours hors de portée, mais on peut admettre qu'on s'en approche progressivement. [...]

[...] Se conformer à la lettre de la loi peut parfois être condamnable: Sans l'intervention de l'équité, l'obéissance à la lettre de la loi serait contraire au bien commun, et donc condamnable. Du point de vue supérieur de la justice équitable, il est des cas où il ne faut pas obéir à la lettre de la loi, afin d'en retrouver l'esprit: l'intention générale dont la loi n'est en quelque sorte qu'une déclinaison nécessairement imparfaite. La référence au Code de Justinien vient confirmer le sens et la portée de l'exception: on pêche contre la loi si, en s'attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur On est à l'inverse en profonde complicité avec la loi si, en s'attachant, non à sa lettre, mais à son esprit, on retrouve la volonté du législateur et on s'accorde avec elle. [...]

[...] Pour Thomas d'Aquin, ce serait une erreur. En effet, le recours à l'équité n'implique pas que la loi soit mal faite« , il tient simplement compte du fait qu'elle ne peut sans doute être écrite autrement, en raison de la variabilité des actes humains. On doit donc distinguer celui qui, disant que la loi est mal faite, la juge (et sans doute la condamne), de celui qui considère que certains cas demandent que la loi ne soit pas suivie à la lettre. [...]

[...] De même, restituer une somme à celui qui s'en servira pour combattre sa patrie ne saurait être admis: cette fois encore, l'application de la lettre de la loi entraînerait une atteinte au bien commun. Dans de tels cas, la désobéissance à la lettre de la loi, l'ignorance de cette lettre même, se fait au profit de tous: elle va donc dans le sens du bien au lieu de produire du mal. C'est à de telles occasions qu'intervient la vertu d'équité. [...]

[...] En effet, selon Aristote (Ethique à Nicomaque), l'équité, comme sentiment ou esprit du juste, est en un sens plus parfaite que la justice formulée par la loi. Elle vient suspendre momentanément la justice légale pour répondre aux exigences d'une justice antérieure ou supérieure qui prend en considération, dans toutes les circonstances possibles, le bien commun. Elle propose donc une sorte d'amélioration temporaire de la justice instituée, nécessitée par le caractère singulier de la situation à traiter. Dans le cas du fou ou de l'ennemi de sa patrie, il est équitable de ne pas lui rendre son épée ou son argent, même si ce n'est légal L'équité se préoccupe de l'esprit de la loi, et non de sa lettre: Ne pas respecter la légalité officielle se justifie par la considération du bien commun, c'est-à-dire de ce qu'avaient à l'esprit les législateurs eux-mêmes. [...]