Dans son "Thésée", un André Gide vieillissant donne à lire une sorte de testament littéraire, de conclusion à sa vie et à son œuvre, en se servant du matériau des différents mythes afférant au personnage de Thésée. D'une petite centaine de pages, cette œuvre a une importance cruciale dans la vie de Gide, presque démesurée. Plus encore, dans tout livre, les dernières pages, la conclusion, sont un moment-clé.
C'est le moment où l'auteur termine son histoire, la clôt, ou au contraire l'ouvre sur des perspectives nouvelles. Dernières pages d'un livre en forme de testament qui ne dit pas son nom, le douzième chapitre du Thésée, à l'aune de ces considérations, mérite qu'on y accorde une attention très soutenue, en se demandant quel est le contenu de la conclusion qu'apporte ce chapitre à la vie de Thésée telle que la narre Gide.
[...] Pour le bien de l'humanité future, j'ai fait mon œuvre. J'ai vécu continue et conclut Thésée, établissant une équivalence saisissante de sens entre l'idée d'avoir fait son œuvre c'est-à-dire travailler au bien de l'humanité à venir, et celle d'avoir vécu La dimension héroïque de Thésée ici dépasse une simple liste d'exploits à la Hercule, elle se place sur un plan supérieur : il a amélioré la condition de l'homme, il est héroïque par la liberté supplémentaire qu'il apporte aux générations futures, et que porte en elle Athènes naissante. [...]
[...] Leur seul véritable point commun, c'est le bonheur qu'ils ressentent tous deux, l'un à la contemplation du monde intérieur qu'il a découvert, l'autre à la contemplation du monde extérieur qu'il a bâti. La rencontre entre les deux hommes, ainsi que Gide l'a écrit, la confrontation entre leurs points de vue et leurs visions de l'homme, de l'humanité, de la vie, permet de souligner ce que Thésée apporte à la pensée humaine et à l'histoire humaine. Le contrepoint qu'apporte le héros athénien lui appartient au premier chef, mais c'est aussi, et peut-être surtout, à Gide qu'il faut attribuer les magnifiques dernières lignes de l'œuvre et du chapitre. [...]
[...] Réaliste, comme il l'a été tout au long du livre, Thésée est conscient de ce qu'il a accompli : J'avais triomphé partout et toujours Rien ni personne ne lui a résisté : Jusqu'alors j'avais tout incliné, vu tous s'incliner devant moi Il a vaincu le puissant Minotaure, et fondé Athènes sur des principes égalitaires et démocratiques qui lui ont attiré la haine des aristocrates qui possédaient autrefois l'essentiel des terres et du pouvoir cela il le raconte au chapitre précédent haine qu'il a aussi vaincue. Plus que le récit de ses exploits, Thésée lègue, et cela il le sait et s'en enorgueillit, à la postérité la cité d'Athènes : Derrière moi, je laisse la cité d'Athènes. Plus encore que ma femme et mon fils, je l'ai chérie. J'ai fait ma ville. Après moi, saura l'habiter immortellement ma pensée. Il a réalisé ce que lui disait son père au chapitre un Sois homme. [...]
[...] Thésée ne parvient pas à comprendre la raison qui a poussé le roi de Thèbes à cet affreux attentat contre lui-même C'est le principal sujet de la discussion entre les deux héros. Œdipe donne plusieurs raisons qui vont en s'approfondissant à cet acte : d'abord la fureur, et la volonté de déchirer ce décor où [il se démenait], ce mensonge à quoi [il avait] cessé de croire ; pour arriver à la réalité Puis la nécessité de se punir pour ne pas avoir vu la vérité. [...]
[...] Sache montrer aux hommes ce que peut être et se propose de devenir l'un d'entre eux. Il y a de grandes choses à faire. Obtiens-toi. Plus qu'en lui-même, c'est en Athènes qu'il s'est obtenu et réalisé. La cité est le prolongement, éternel, de sa pensée Par ce qu'il pense que la polis de l'Attique va réaliser, Thésée espère que grâce [à lui], les hommes se reconnaîtront plus heureux, meilleurs et plus libres. La place de l'adjectif libre ici, en fin de phrase, n'est pas innocente. [...]
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