Thème de l'aveuglement, Le Roi Lear, Shakespeare, aveuglement originel, homme confronté au rien, Cordélia, Gloucester
Le Roi Lear, tragédie d'un amour illusoire, d'une confiance trompée, puise sa force dans la dialectique de l'être et du paraître.
Lear et Gloucester sont deux pères trompés, deux pères à qui l'on a jeté de la poudre aux yeux, et qui se sont mis le doigt dans l'œil quant aux véritables intentions de leurs proches, pour finalement ne plus avoir que leurs yeux (voire leurs orbites) pour pleurer.
L'aveuglement est une notion centrale de cette pièce, tant au niveau physique qu'au niveau symbolique. En partant d'expressions idiomatiques populaires concernant la vue ou l'aveuglement, on voit bien comment la symbolique de la vue est riche de sens. Car ce n'est pas uniquement dans son interprétation a posteriori que l'aveuglement présente un intérêt dans cette pièce de Shakespeare, présentée pour la première fois en 1606. Bien au contraire, l'aveuglement, s'il est destruction au niveau physique, est création au niveau théâtral. Création de lieux purement imaginaires, donc purement théâtraux, création et altération des rôles. Le fou, devant son maître qui lui prend son rôle, endosse celui de sage, Edgard se voit contraint de retourner aux origines de l'homme en se faisant passer pour ce Pauvre Tom afin d'échapper à la fureur de son père, et Kent, banni, recours au travestissement pour rester auprès de celui qui voit en lui un rebelle.
[...] EDGAR Alors, c'est que vos autres sens sont émoussés par la torture de vos yeux. Il y a là véritablement une création de l'ascension, alors qu'on voit bien, sur scène, qu'elle est inexistante. Pourtant, par le jeu conjoint du travail sur la langue et de la cécité, ce lieu inexistant prend peu à peu forme, dès lors que Gloucester commence à entrer dans le monde créé par son fils : C'est possible, en effet. Ensuite, Edgar dessine la falaise à grand renfort d'exclamations, d'hyperboles, de comparaisons inattendues : . [...]
[...] Au tour de l'autre. Ces trois aveugles (puisque manipulés) se transforment donc en bourreaux et énucléent Gloucester, mais en le rendant aveugle ils lui rendent, paradoxalement, la vue. Gloucester aveugle, mais lucide Gloucester comme double de Lear perd la vue pour garder la raison alors que Lear, dans sa folie, semble doué de clairvoyance. Jeté dehors, les orbites à vif, Gloucester se révèle soudain à lui-même, et formule toute la problématique de l'aveuglement : Je n'ai pas de chemin, et donc pas besoin d'yeux ; Je trébuchais quand je voyais. [...]
[...] Et par ce cheminement, cette tension, le dramaturge agit d'abord et directement sur le spectateur. En effet, il s'agit bien d'un jeu sur ses perceptions, et le nouvel espace, le nouveau topos utilise tous les moyens pour provoquer le trouble chez le spectateur, et réintroduire de l'instabilité au cœur des modèles traditionnels. La scène devient un lieu aux contours sans cesse redéfinis, qui permet de dépasser la conformité traditionnelle entre ce qui est vu et ce qui est. Dans Le Roi Lear, l'aveuglement permet même un enrichissement, en ce que deux visions coexistent dans l'ici et maintenant de la représentation théâtrale. [...]
[...] Mais l'aveugle est aussi, finalement, celui qui a besoin d'un guide, et nous verrons dans ce dossier comment cette donnée a pu être exploitée par Shakespeare. Le Roi Lear, chronique d'un aveuglement originel Rien et conséquences Orgueil d'un père qui veut s'entendre dire combien il est aimé, Lear, c'est avant tout l'histoire d'un homme confronté au rien . Ce rien de Cordélia[1], s'il est pure vérité, est aussi signe vers le vide qui gagne peu à peu le roi au cours de la pièce. [...]
[...] Il s'agit là d'« un refus d'un Dieu qui se révélerait [ ] à l'occasion des actions des hommes et selon la seule logique d'une nécessité du bien. C'est-à-dire que l'aveuglement de Lear ne reste pas sans conséquence, et c'est peut-être en cela qu'on peut véritablement parler d'une cécité tragique. Gloucester, l'aveuglé devenu aveugle La deuxième figure patriarcale, Gloucester, apparaît dans la pièce à partir de la scène 2 de l'acte et constitue comme le double de Lear. Il est lui aussi aveuglé, manipulé par sa progéniture, mais son aveuglement symbolique va être doublé d'un cruel aveuglement physique. [...]
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