C'est là la limite d'une rencontre entre deux auteurs farouchement opposés à la religion de leur temps : si tous deux haïssent et dénoncent les superstitions inhérentes à toute religion historique et en particulier au judaïsme et au christianisme, l'un d'entre eux, qui était un intellectuel raffiné et en vue à son époque, se rattache à la conception dominante dans les cercles intellectuels et franc-maçons du dix-huitième siècle, la croyance à un Être suprême, grand architecte de la nature, certes imperceptible à l'entendement médiocre du commun des mortels, mais évident pour le sage qui contemple la nature avec une âme éclairée par la raison.
L'autre, petit curé de campagne, ignoré des grands de ce monde et animé, à ce qu'il dit, par le seul amour de la vérité et de la justice, et par la haine de la profession qu'il a endossée pour faire plaisir à ses parents et de toute religion et croyance irrationnelle, va plus loin : c'est tout le théisme qu'il attaque à travers ses défenseurs terrestres, “christicoles” et autres “déicoles”, ainsi que tout l'ordre d'Ancien Régime, la société d'ordre, en particulier le clergé, le pouvoir des princes et la propriété privée.
Tandis que l'un a une réputation à tenir et use de fausses signatures, écrits anonymes et fausses attributions pour faire passer ses idées certes antichrétiennes, mais non irréligieuses, l'autre opte pour la publication post-mortem et n'a donc rien à cacher : il signe son manuscrit et y révèle le fond de sa conscience, scandalisée par l'ampleur des superstitions et des injustices et haineuse vis-à-vis de tout ce qui ressemble à un dieu ou un maître. Ce préfigurateur de l'anarcho-communisme d'un Bakounine ou d'un Proudhon n'a donc eu l'heur de plaire intégralement au “philosophe des Lumières”. Et pourtant, ce dernier a retrouvé nombre de ses idées dans le texte du Testament, comme ses autres écrits le prouvent.
Aussi, sans hésiter, Voltaire a récupéré ce qui l'intéressait en laissant de côté ce qui lui déplaisait, faisant passer les vitupérations d'un enragé contre Dieu pour un simple, bien que virulent, plaidoyer déiste, plus conforme à l'esprit du temps et au sien, et concluant son texte remanié par une supplication à Dieu “de daigner nous rappeler à la religion naturelle, dont le christianisme est l'ennemi déclaré”. Pure supercherie et trahison intellectuelle, à la compréhension de laquelle le présent travail tâche de contribuer.
[...] Sans doute la dénonciation des sacrifices animaux est-elle plus largement développée et avec plus de conviction, même si Voltaire reprend l'argument et n'y semble pas insensible. La première partie de la troisième preuve s'intitule en effet : “Folie des hommes d'attribuer à Dieu l'institution des cruels et barbares sacrifices des bêtes innocentes et de croire que ces sortes de sacrifices lui étoient agréables”. On y trouve déjà une réfutation de Descartes et des cartésiens et de leur thèse de l'animal-machine, et une défense de l'idée que l'homme partage avec les animaux la faculté de connaissance, le plaisir et la peine, ce qui nécessite de les traiter avec douceur. [...]
[...] La huitième preuve ne l'est pas davantage, puisque Voltaire croit en une sorte de punition des méchants après la mort et que Meslier s'attache à démontrer la mortalité de l'âme humaine. C'est ici explicitement aux “déicoles” que s'en prend Meslier, concept incluant donc tous ceux qui croient en un Dieu, fut-ce de manière prétendument rationnelle, et donc les partisans de la religion naturelle comme Voltaire. Leurs arguments pour prouver prétendue spiritualité et immortalité de l'âme” sont qualifiés de vains et réfutés un à un. [...]
[...] L'argumentaire y est presque complet, sans les citations bien sûr, qui sont chez Meslier très nombreuses, et avec un peu moins d'emphase et d'acharnement. Quelques éléments notables que l'on ne trouve que chez Meslier peuvent tout de même être signalés : Quand il évoque les prophéties du Deutéronome sur le retour au pays des Pères, la paix qui est promise aux Hébreux, etc. On trouve cette phrase significative en marge de chaque page : “Toutes ces belles et magnifiques promesses se trouvent manifestement fausses”. [...]
[...] Il est dit que Jésus n'a jamais été roi ni ses disciples rien eu en abondance. Le monde n'a pas été délivré du péché et “notre siècle” en est la preuve. Jésus a fait des promesses sans restriction temporelle, comme quoi la foi permet d'accomplir des miracles, et on prétend que cela marchait à l'époque pour convaincre les incrédules mais plus aujourd'hui, ce qui est incohérent. Toutes les sectes chrétiennes sont pétries de vices et d'erreurs parce qu'elles sont nées dans l'erreur. [...]
[...] L'essentiel est ensuite repris par Voltaire. Venons-en au chapitre sans titre, constitué de deux sous-parties, l'Ancien Testament” et Nouveau Testament”, qui correspond, bien qu'il ne soit pas comptabilisé comme tel pour une raison qui reste obscure, à la quatrième preuve de Meslier. Il est justifié de traiter ces deux chapitres dans une même partie, car comme l'observe Morehouse, la quatrième preuve n'est qu'un corolaire de la troisième (op.cit. p.55). 1er : de l'Ancien Testament : Les christicoles prétendent que leurs prophéties constituent un “témoignage de vérité”. [...]
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