La poésie de Charles Baudelaire est régulièrement affiliée au symbolisme : le signifiant, en reprenant la terminologie du linguiste Ferdinand de Saussure, dont la caractéristique est, chez Baudelaire, la sensation qu'il procure sur le plan matériel, y revêt un ou plusieurs signifiés permettant l'établissement d'un lien entre le monde physique, représenté par le corps ou l'objet décrit et celui des idées, porté par des correspondances, en apparence occultes, entre les éléments du microcosme textuel et ceux du macrocosme naturel. Cette conception, inspirée de la théologie chrétienne médiévale du treizième siècle, place ainsi l'esprit, guidé par les sens, au centre du travail poétique, cependant, chez Baudelaire, il ne s'agit pas simplement de construire un univers d'analogies. Dans Les fleurs du mal, recueil publié pour la première fois en 1857, les impressions se confondent : les sens humains, qui ne devaient être que les instruments de la perception et les prémices de la réflexion métaphysique que suppose la création de symboles, finissent par éclipser cette dernière.
[...] Le poème : A une passante cent troisième pièce de l'ouvrage : Tableaux parisiens illustre aisément ce phénomène : le poète, observant passer une jeune femme tombe, en la contemplant, sous son charme, pourtant, le contact qu'exige le désir n'y a jamais lieu, comme le montre la distance représentée par le regard et renforcée par le mouvement du troisième et du quatrième vers : Une femme passa, d'une main fastueuse/Soulevant, balançant le feston et l'ourlet que le poète transcrit, là encore, par une trinité d'effets littéraires, avec l'usage du passé simple, temps narratif habituellement dédié à la description d'actions achevées ; la mention du balancement, explicité par le participe présent : balançant et l'allitération en : f qui n'est pas sans évoquer le glissement, rapide et légèrement sifflant, de cette femme fugitive. Ce mouvement s'oppose à l'immobilité du poète qui, passif, ne peut qu'admirer cette amante manquée. [...]
[...] Dans Les fleurs du mal, Baudelaire fait de la laideur et de la souffrance les principaux matériaux de son travail poétique. Il est communément admis que l'esthétique baudelairienne s'axe autour de cette confrontation entre le bien et le mal, le fragile et l'absolu. L'appropriation de l'anglicisme spleen et l'existence, au sein du recueil, d'une section spécifique Spleen et Idéal où cet étrange sentiment, dont les équivalents français les plus proches que sont la nostalgie et la mélancolie, ne parviennent pas à en traduire avec fidélité la totalité des enjeux, laisserait penser, à raison, que la quête d'un idéal esthétique profondément enraciné dans l'ordure et la misère humaines, est le noyau de son œuvre mais, une telle approche est insuffisante. [...]
[...] La charogne y est à la fois perle et fumier et âme du premier vers, perle parmi les perles, se voit contrainte de côtoyer le domaine charnel du vulgaire. Le titre érige alors une trinité : les fleurs , au pluriel, s'opposent et s'unissent au mal au singulier afin d'engendrer une créateur hybride qui n'est belle que parce qu'elle prend sa source dans ce qui est repoussant néanmoins, bien que ce titre soit effectivement triple dans sa signification, une deuxième lecture amène à prolonger et complexifier cette idée : les fleurs sont, par essence, des objets visibles, images pluriséculaire de la grâce. [...]
[...] Cette section n'est donc pas une célébration du vin et de son ivresse. Elle est, à l'inverse, l'acerbe apologie la douleur, une douleur si terrible qu'elle ne peut aspirer qu'à l'anesthésie temporaire de l'ébriété. La seconde objection réside dans les deux derniers vers de : l'Âme du vin Le vin, parlant de son union avec l'homme, tient le discours suivant : En toi je tomberai ( Pour que de notre amour naisse la poésie/Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! [...]
[...] Les fleurs du mal est un ouvrage placé sous l'égide de la synesthésie. Le titre en est un indice non négligeable. Il pourrait sembler dérisoire de s'attarder sur le titre d'une œuvre littéraire mais, puisqu'il en est le premier fragment auquel le lecteur a accès, il serait judicieux de le classer parmi les textes liminaires et d'en considérer la portée. Dans le contexte du recueil de Baudelaire, il est traditionnellement reconnu comme l'expression d'une tentative de la part du poète de trouver, dans les méandres de la laideur, une beauté d'autant plus extraordinaire qu'elle n'est accessible qu'aux regards avertis, comme pourrait, entre autres, le confirmer Une charogne , vingt-neuvième poème de l'ouvrage, dans la section Spleen et idéal où la carcasse, la : charogne infâme (V.3) , imperfection dans un paysage bucolique caractérisé par beau matin d'été si doux fait naître chez le poète une mélancolie mêlée d'un cynisme certain devant l'éphémère magnificence de la vie. [...]
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