Le suicidé de la société, Antonin Artaud, Vincent Van Gogh, Musée de l'Orangerie, santé mentale, peinture, Champ de blé aux corbeaux, censure, technique, choix artistique, similitudes, jeu de sonorités, admiration
Le suicidé de la société parait en 1947, juste après qu'Antonin Artaud (1896-1948) a vu les oeuvres de Vincent Van Gogh (1853-1890) lors d'une exposition éponyme au Musée de l'Orangerie. Ce vibrant essai, hommage à la carrière du peintre, se heurte pourtant à une critique acerbe : au-delà de son art, c'est bien la santé psychiatrique que l'auteur tend à défendre, sujet sur lequel le Tout-Paris polémique. À une époque où la santé mentale est souvent outil de censure, Antonin Artaud souhaite une levée de boucliers et évoque, au prisme de la vie de Van Gogh, sa propre expérience d'interné contre son gré. Pour autant, cet essai hybride est également l'occasion pour l'auteur de se livrer à l'analyse de certaines peintures, comme c'est le cas dans l'extrait étudié, qui évoque le Champ de blé aux corbeaux, peint en 1890, dans les derniers instants de vie de Van Gogh.
[...] Ce funeste déplacement est également présent dans le texte. Ainsi, le style informatif de la première ligne bascule peu à peu dans une rythmique bien plus soutenue qui emporte avec elle le lecteur. Le ton est également peu à peu plus intime et sollicite l'émotion du lecteur. Il faut d'ailleurs attendre l'ultime paragraphe pour que le texte prenne une tournure personnelle avec l'usage du pronom personnel complément de la première personne du singulier « me » ligne 35. La structure du texte très marquée, constituée de nombreux paragraphes, pourrait également y faire écho, comme les virgules qui cadencent l'œuvre. [...]
[...] La relecture et la mise en abîme de la vie du peintre Si Artaud fait le choix d'une description passionnée, subjective, en immersion, pour dire le Champ de blé aux corbeaux, il en est de même lorsqu'il évoque la vie de Van Gogh. Loin du souci de vérité biographique, il s'agit de dire l'âme du peintre, quitte à faire fi des éléments factuels. Ainsi, l'auteur ne place pas sa focale au moment de la création du tableau lui-même, mais évoque l'œuvre au prisme de l'histoire achevée. Les coups de fusil qui seront fatals à Van Gogh sont ainsi évoqués à deux reprises, lignes 6 et 26, constituant un double choix narratif. [...]
[...] Connaissant l'admiration de l'écrivain pour Van Gogh, mais aussi les similitudes frappantes existantes entre leurs vies, on peut envisager ces choix comme des outils mis au service d'un plaidoyer pour le peintre, mais également comme le reflet d'une mise en abîme si forte, que créateurs et créations ne semblent faire plus qu'un. Van Gogh était sans doute en partie ses peintures, de la même manière qu'Arthaud est en partie ses écrits. Il semble désormais aussi troublant de remarquer que les deux hommes paraissent porter en chacun d'eux un peu de l'autre. Hypotypose, relecture et mise en abîme participent dès lors à la création d'un mythe Van Gogh. Au-delà de l'admiration de l'auteur pour le peintre, ne peut-on pas également y lire l'empreinte d'un homme en quête de sens ? [...]
[...] Si le tableau de Van Gogh, au premier coup d'œil, pouvait apparaître comme un beau champ de blé, il révèle peu à peu des aspects bien plus dramatiques. De même, le texte d'Artaud offre à découvrir sa puissance et sa noirceur au fil des lignes. En plus de l'aplat de peinture et du choix des couleurs, on remarque chez Van Gogh la présence de mouvements, notamment portés par les lignes de force du tableau, mais aussi par le vol des corbeaux. [...]
[...] Il est frappant de constater que le texte semble évoquer un spectacle vivant. Sans savoir qu'il s'agit d'un tableau, il serait tout à fait cohérent de penser qu'Artaud parle d'une pièce de théâtre ou d'un opéra. L'hypotypose est remarquable. De même, en évoquant le goût de vin et de vinaigre. (Lignes 29 et 30) l'auteur fait appel à tous les sens du spectateur pour percevoir le tableau. Il semble capable de faire entendre le bruit des corbeaux et sentir le vent du soir. [...]
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