Ce poème est le quatorzième du recueil de Louise Labé, intitulé Sonnets et publié en 1555. Il s'agit d'un sonnet « français », de forme parfaitement canonique, mais néanmoins tout à fait original. Dans quelle mesure ce sonnet illustre-t-il le lien très fort qui unit la poésie et l'amour, ce lien étant ici soutenu par une utilisation géniale de la distorsion quatrains/sonnets ? En quoi l'influence pétrarquiste évidente est-elle affirmée puis dépassée et infléchie ?
[...] Si l'on ne tient pas compte de l'inversement sujets/verbes, les vers 1 et 2 signifient Tant que mes yeux pourront épandre des larmes à regretter les heures passées avec toi [vii] Antithèse = opposition. [viii] à l'incipit = au début. De la même façon, à l'excipit = à la fin. Parallélisme antithétique = terme technique. Grosso modo, ça veut dire Un substantif est un nom commun Un exutoire, c'est ce dans quoi on se déverse pour surmonter sa douleur. [xii] Infléchissement = modification qui fait varier le point de départ. [...]
[...] Ce parallélisme antithétique[ix] entre les 2 mouvements du sonnet est soutenu par la répétition dans les tercets de certains substantifs[x] des quatrains : par exemple, mes yeux (v.1 et ma voix et l'esprit et mon esprit v.7 et 12. Quand l'amour fait défaut, une tragique dévitalisation s'empare de l'homme. C'est la cruauté de la passion amoureuse, et la nécessité vitale d'aimer qui sont ici mises en évidence, de sorte que l'écriture poétique apparaît comme un moyen de surmonter la douleur : on écrit ce que l'on n'arrive pas à vivre ou ce que l'on vit avec difficulté. La poésie est un exutoire[xi]. [...]
[...] A la fin du vers les deux points annoncent la proposition principale, rejetée au vers 9. L'effet de retardement en est d'autant plus remarquable, qui tient au rejet de cette proposition au début du premier tercet. La poétesse introduit ainsi un effet d'attente qui stimule le lecteur. De plus, le vers 9 est, du point de vue de la forme canonique du sonnet, le lieu de la volta c'est à dire d'un point saillant, percutant et indispensable. L'effet de volta est ici fortement marqué : la proposition principale comporte à la fois le pronom personnel à la première personne Je et, en excipit du vers, l'infinitif mourir Sur le fond, Louise Labé célèbre dans les 2 quatrains l'amour en tant qu'il est LA grande valeur de la vie humaine. [...]
[...] Cette idée va à l'encontre du pétrarquisme originel. On retiendra de ce sonnet l'actualisation[xiii] du thème pétrarquiste : l'amour est une expérience paroxystique douloureuse mais sans laquelle la vie n'a plus de sens et ne mérite plus d'être vécue. D'un autre côté, la variation qui est opérée par Louise Labé sur ce thème pétrarquiste est tout à fait remarquable car originale. Un sonnet français est un sonnet de la forme ABBA ABBA CC DEDE (chaque lettre indique une rime). Un sonnet italien est un sonnet de la forme ABBA ABBA CC DEED Problématique et annonce du plan en 2 parties. [...]
[...] En quoi ce sonnet est-il inspiré du pétrarquisme ? Quelle distorsion légère Louise Labé fait-elle subir au pétrarquisme ? L'expérience amoureuse est abordée dans ce sonnet en décasyllabes au moyen de propositions subordonnées temporelles, introduites par Tant que et qui évoquent la durée. La répétition de cette expression à l'incipit des deux quatrains est capitale, puisqu'elle révèle une construction particulièrement rigoureuse. On remarque également que chaque vers s'achève par un infinitif, d'où une impression de régularité, un bercement produit chez le lecteur. [...]
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