Marcel Proust, Sésame et les Lys, John Ruskin, extrait, préface, lecture, développement argumentatif, Commentaire d'oeuvre, analyse linéaire, écrivain, vision littéraire, littérature, auteur, analogie
Le texte qu'il s'agit de commenter présentement est un extrait de la préface de Marcel Proust à sa propre traduction d'un ouvrage critique de John Ruskin, Sésame et les Lys. Intitulé « Sur la lecture », cet essai critique est, curieusement, une réfutation de la thèse qu'elle introduit. En effet, Ruskin conçoit la lecture comme une conversation ; pour Proust, elle ne saurait l'être, car il n'y a pas de réciprocité dans l'expérience solitaire de la lecture : il s'agit de recevoir la « communication d'une autre pensée, mais tout en restant seul, c'est-à-dire en continuant à jouir de la puissance intellectuelle qu'on a dans la solitude et que la conversation dissipe immédiatement ». L'extrait présenté ici introduit cette idée de manière oblique : le texte y est conçu comme un artéfact dans lequel le lecteur peut, furtivement, entrevoir le passé vivant. C'est par une série d'analogies, principalement architecturales et sculpturales, avec un interlude religieux, que Proust présente sa thèse - du point de vue du lecteur d'abord puis, dans un renversement original, de celui du texte. Puisqu'il s'agit d'un développement argumentatif sur l'esthétique, où l'esthétique elle-même intervient nécessairement, nous proposons une analyse linéaire de l'extrait.
[...] Sésame et les Lys - Extrait de la préface de Marcel Proust (1906) - Sur la lecture Le texte qu'il s'agit de commenter présentement est un extrait de la préface de Marcel Proust à sa propre traduction d'un ouvrage critique de John Ruskin, Sésame et les Lys. Intitulé « Sur la lecture », cet essai critique est, curieusement, une réfutation de la thèse qu'elle introduit. En effet, Ruskin conçoit la lecture comme une conversation ; pour Proust, elle ne saurait l'être, car il n'y a pas de réciprocité dans l'expérience solitaire de la lecture : il s'agit de recevoir la « communication d'une autre pensée, mais tout en restant seul, c'est-à-dire en continuant à jouir de la puissance intellectuelle qu'on a dans la solitude et que la conversation dissipe immédiatement ». [...]
[...] Dans un mouvement similaire, Proust l'écrivain disparaît derrière Proust le lecteur tout au long de l'extrait. Proust insiste sur la qualité « révolue », « abolie », « qui ne se [fait] plus » des textes qu'il évoque. Sa pensée trace un paradoxe intéressant : le passé, dont les textes sont exemplaires, est inscrutable et inaccessible, mais les textes le donnent justement à voir et même à « visiter ». Pour expliquer sa pensée, Proust utilise une comparaison entre la littérature et la sculpture. [...]
[...] Son exemple est tiré de la Bible. Pour lui, c'est dans les espaces « entre les phrases » que se situe le matériau vivant du texte : en lui est retranscrit l'inspiration de tous les hommes qui l'ont récité. La métaphore est rendue dans une antithèse : paradoxalement, c'est le silence qui « rempli[t] les interstices ». Un autre paradoxe s'ajoute dans la même phrase, qui continue celui développé précédemment : le passé est inaccessible mais le texte nous y donne accès. [...]
[...] En effet, la phrase s'est « scindée pour enclore » le silence de celui qui psalmodiait ; la phrase devient ainsi l'hypogée du silence. Mais elle n'est pas hermétique, c'est même là sa fonction : elle « apport[e] le parfum d'une rose que la brise entrant par la fenêtre ouverte avait répandu dans la salle haute où se tenait l'Assemblée et qui ne s'était pas évaporé depuis près de dix-sept siècles ». Pourtant, Proust n'est pas l'un des archéologues de son temps, étant le premier à entrer dans des tombes scellées depuis l'enterrement de ceux qu'elles accueillaient ; son expérience de lecture, solitaire, n'est pas unique, ni la première. [...]
[...] Ainsi, cet extrait de Sur la lecture contient tous les éléments nécessaires à la compréhension de la thèse de Proust dans cette préface qui est en fait une réponse aux essais qu'elle introduit. Elle est pleine de contradictions lissées par les effets de style de Proust et la poésie de ses métaphores, mais que le lecteur se doit de confronter : elles constituent en fait le nœud même, fait presque littéral, de la pensée de Proust sur l'expérience de lecture. [...]
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