Au sein des Liaisons dangereuses, les lettres 73, 120 et 123 sont des exemples particulièrement remarquables à la fois du talent de Valmont pour l'intrigue mais aussi des effets qu'un tel talent peut entraîner chez ses correspondants (ici le Père Anselme, qui lui répond par le biais de la lettre 123).
Mais il est une chose très importante à remarquer d'emblée : si les lettres 120 et 123 forment à elles deux une suite et un ensemble logiques, puisqu'à la lettre de Valmont adressée au Père Anselme ce dernier répond tout naturellement à son correspondant, la lettre 73 est un cas beaucoup plus singulier : ce billet adressé par Valmont à Cécile Volanges n'est en effet suivi d'aucune réponse de la jeune femme. Privée de cette réponse que l'on était en droit d'attendre, la lettre 73 ne peut donc pas former un ensemble binaire, comme c'est le cas pour les lettres 120 et 123. Déjà très originale (on verra pourquoi ci-dessous), la lettre 73 est en quelque sorte marquée par un manque, une lacune : l'absence de réponse de la jeune Volanges.
[...] La lettre 73 Ce qui la rend si unique au milieu de toutes les autres lettres du roman (lettre 167 exceptée, puisqu'elle n'est pas signée), c'est son contenu anonyme : lorsqu'en effet il parle de lui dans cette lettre, Valmont prend la précaution de ne jamais se nommer et même ce qui est plus singulier de s'adresser à la jeune Volanges en utilisant la troisième personne du singulier : L'ami qui vous sert a su que vous n'aviez rien de ce qu'il vous fallait pour écrire, et il y a déjà pourvu. ; Il vous demande de ne pas vous offenser, s'il a l'air de ne faire aucune attention à vous dans le cercle. ; Il tâchera de faire naître des occasions de vous parler. ; Il aura quelque chose à vous apprendre. etc. En tout, la lettre présente sept occurrences de ce genre. [...]
[...] Laclos a montré à la fin des Liaisons dangereuses que les choix de vie de Valmont et surtout de la Marquise de Merteuil ne pouvaient qu'être sanctionnés que par la chute et/ou par la mort. Et ce n'est pas non plus un hasard si le mot de la fin est dit par Mme de Rosemonde, dame âgée très pieuse, sous la forme d'une condamnation moralisante des actes du Vicomte et surtout de la Marquise (elle parle d'« horreurs p 463). [...]
[...] Le prêtre montre cependant dans sa réponse qu'il a une bonne connaissance du passé du Vicomte le lecteur soupçonnant que c'est peut-être Mme de Tourvel qui lui a fourni ces informations : J'espère vous convaincre bientôt que la Religion Sainte peut donner seule, même en ce monde, le bonheur solide et durable qu'on cherche vainement dans l'aveuglement des passions humaines. 353) Le on qu'emploie le Père Anselme dans sa phrase renvoie sans nul doute dans son esprit à Valmont lui-même, accusé en filigrane par le prêtre de s'être complu (et aveuglé) dans des liaisons amoureuses qu'il juge vaines. [...]
[...] Le terme préjugé est central dans ces propos de Valmont ; à l'instar de la Marquise de Merteuil et des philosophes des Lumières les plus audacieux de l'époque, qui considéraient que l'idée de Dieu n'était qu'une illusion, Valmont ne cache pas son athéisme et son irréligion. Le mot Dieu est d'ailleurs employé dans ses phrases avec ironie. Dans tous les cas, c'est ce passage, entre autres, qui constitue le discours caché, souterrain et invisible au-dessus duquel Valmont brode son billet au Père Anselme, truffé de faux semblants et de mensonges de toutes sortes. [...]
[...] La dernière partie de la phrase doit être lue comme une nouvelle antiphrase, puisque Valmont pense avant tout à sa propre sécurité, et non à celle de Cécile Volanges. On notera enfin sa tendance à la manipulation, visible notamment dans cette phrase : Il mettra tous ses soins à adoucir la persécution qu'une mère trop cruelle fait éprouver à deux personnes Pour mieux arriver à ses fins, Valmont (semblable en cela à la Marquise Merteuil, qui en fait usage dans son combat contre Prévan) utilise la diffamation (la mère de Cécile Volanges en étant ici la cible) usage qu'il poursuivra dans la lettre 110 : sa Maman, que je me plaisais à chamarrer ainsi de vices et de ridicules. [...]
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