Sénèque, entretien, compassion, devoir d'humanité, porter secours
On n'a pas besoin de faire de longues études de sociologie pour savoir que certains hommes vivent dans la misère.
La morale la plus élémentaire demande qu'on les aide, mais est-ce en fonction d'un sentiment? On dit volontiers qu'il convient d'être compatissant: en analysant d'une certaine façon la compassion et ses effets, Sénèque montre ici qu'elle ne fait que propager la confusion d'esprit et une certaine impuissance de la pensée.
S'il convient néanmoins de porter secours aux miséreux, ce sera donc sans ressentir de compassion, par l'équivalent d'un devoir liant les hommes les uns aux autres, et sans que se manifeste la moindre différence entre la dignité des uns et celle des autres, mais comme la confirmation d'une appartenance à une seule humanité.
[...] Sénèque, Entretiens On n'a pas besoin de faire de longues études de sociologie pour savoir que certains hommes vivent dans la misère. La morale la plus élémentaire demande qu'on les aide, mais Est-ce en fonction d'un sentiment? On dit volontiers qu'il convient d'être compatissant: en analysant d'une certaine façon la compassion et ses effets, Sénèque montre ici qu'elle ne fait que propager la confusion d'esprit et une certaine impuissance de la pensée. S'il convient néanmoins de porter secours aux miséreux, ce sera donc sans ressentir de compassion, par l'équivalent d'un devoir liant les hommes les uns aux autres, et sans que se manifeste la moindre différence entre la dignité des uns et celle des autres, mais comme la confirmation d'une appartenance à une seule humanité. [...]
[...] De surcroît, on rencontre ici une rigueur telle qu'il n'est nul besoin de concevoir une finalité à l'action bonne: elle est déjà accomplie uniquement par devoir et il lui suffit d'illustrer l'appartenance des personnes à une humanité dont tous les représentants doivent être considérés comme ayant la même importance. [...]
[...] Or, la compassion affaiblit sa compréhension: mettant fin à l'indifférence, elle introduit nécessairement dans l'esprit une agitation qui brouille la formation de l'idée claire et pure Les occupations habituelles de l'esprit: discerner la vérité, imaginer des mesures utiles, éviter des dangers, apprécier équitablement des dommages ou se traduit le souci de mener une existence à l'écart des choses ou événements négatifs, sont rendues confuses par l'irruption du chagrin, état maladif aussi bien du point de vue intellectuel que du point de vue moral (mais il est vrai que, pour le sage, l'activité intellectuelle a en elle-même un intérêt ou une portée morale). C'est donc autant parce qu'elle gêne sa pensée que parce qu'elle assombrit son âme que la commisération, autre nom de la compassion qui souligne le partage de la misère, est refusée par le sage. Que révèle le compatissant? On serait tenté d'objecter que, malgré tous les défauts que lui trouve Sénèque, ou tous les dangers qu'elle semble générer, la compassion garde au moins une qualité ou un avantage: elle invite à secourir les malheureux. Mais Est-ce si sûr? [...]
[...] Pour mesurer la portée ce de qu'évoque Sénèque, sans doute faut-il tenir compte du fait qu'il décrit ce qu'il voit autour de lui, dans la société romaine: on y fait l'aumône, mais c'est en humiliant son bénéficiaire, en lui faisant comprendre qu'on le méprise et en craignant d'être souillé par son contact Le citoyen aisé se donne bonne conscience en distribuant sa piécette au miséreux qu'il regarde à peine et qui, peut-être, le dégoûte par l'exhibition de ses haillons: qu'on ne lui en demande pas davantage, et surtout pas de s'intéresser authentiquement à la personne qu'il prétend secourir. La Compassion peut-elle s'accompagner d'hypocrisie? Mais les choses ont-elles changé depuis Rome? Ne peut on soutenir qu'il y a souvent dans la compassion, lorsqu'elle devient une habitude, un aspect un peu mécanique qui lui retire toute protée morale authentique et la fait évoluer vers un simple conformisme? [...]
[...] Compatir, c'est en quelque sorte ouvrir son âme au règne du malheur, c'est-à-dire admettre que ce dernier doit être pris en considération et peut légitimement perturber l'esprit. D'un tel point de vue, la compassion aboutirait d'abord à une prolifération du malheur ressenti, ce qui inacceptable, puisque le sage est ordinairement indifférent à ses propres malheurs. Le sage ignore d'ailleurs ses propres malheurs: Le sage, celui qui se comporte comme il est convenable de se comporter, n'éprouve pas de chagrin, même à l'occasion de ses propres malheurs la fortune a beau s'acharner contre lui, ses traits (les flèches de la fortune) feront ricochet et rateront leur cible en se brisant à ses pieds. [...]
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