Dans l'écriture biographique, l'autoportrait comme l'évocation de la naissance, est un morceau de bravoure puisque l'auteur se donne comme il se sait, se voit. On pourrait dire de l'incipit de L'écriture de la vie de Semprun qu'il cumule en un texte les deux gageures. En effet, dans ce roman écrit en 1994 Semprun se montre à sa renaissance, le texte s'ouvre, la rédaction commence le jour de la libération du camp dans lequel il se trouve, Buchenwald. L'extrait proposé, qui est l'incipit du roman, débute d'ailleurs in medias res et nous présente Semprun face à ses libérateurs. Ceux-ci semblent si épouvantés en le voyant que notre narrateur en est amené à se décrire physiquement afin de "voir" ce qui, en lui, peut tant impressionner les officiers présents.
1- Un autoportrait sans état d'âme
a) Une quête de son image
Bien que peu soucieux de son apparence : "nul miroir, à Buchenwald" ; "je ne m'intéressais pas à ces détails", Semprun cherche à deviner un corps. Après tout, avoir un corps, c'est être en vie.
Ce corps, le narrateur a donc besoin de le "voir". Ce besoin est rendu perceptible à travers divers procédés. C'est, tout d'abord, ce que tendent à prouver les occurrences du verbe "voir" dans le texte. Mais aussi l'emploi du présent d'énonciation qui convoque, cinquante ans plus tard ce corps : "je me vois", devant le lecteur. C'est aussi la répétition des situations, répétition attestée par l'imparfait d'habitude, itératif : "je voyais mon corps, sa maigreur croissante une fois par semaine, aux douches". Cette quête désespérée de son corps est non seulement visuelle mais aussi sensorielle : privé de ses yeux, tous les moyens sont bons pour puiser à toutes les sources possibles quelques gouttes d'optimisme : "pas de visage, sur ce corps dérisoire. De la main, parfois, je frôlais une arcade sourcilière, des pommettes saillantes, le creux d'une joue". Tout ceci permet au narrateur de se faire une représentation parcellaire de ce qu'il est, ou du moins de ce qu'il peut être (...)
[...] Un autoportrait mis en scène a)réactualisation du portrait Cet autoportrait est original puisque, s'il reprend le poncif de l'autoportrait au miroir, ce poncif est réactualisé. Dépourvu de miroir : Nul miroir, à Buchenwald Semprun doit recourir à un dérivatif pour se voir. Il s'observe à travers le regard des autres : je me vois soudain dans ce regard d'effroi ; si leurs yeux sont un miroir L'image qui lui est renvoyée de lui-même s'en trouve nécessairement déformée puisque, tout d'abord l'oeil étant arrondi, l'image ne peut qu'être transformée. [...]
[...] Son autoportrait devient donc le lieu de la démonstration d'une réalité sociale. Jeune prisonnier au moment de la libération du camp de buchenwald, il est un témoin privilégié. Son témoignage est d'autant plus fort qu'il est inscrit dans son corps, dans son regard. Ce texte donc rend compte de la vie interne au camp, il y évoque le marché noir, avec le même détachement que lorsqu'il évoquait son corps, parce que tout celui lui est commun : J'aurais pu me procurer un miroir, sans doute. [...]
[...] Impression forte puisque tout tourne autours de l'angoisse qu'il génère, qu'il incarne : Je me vois soudain dans ce regard d'effroi:leur épouvante les deux points annoncent une explication donc rapproche je me vois et leur épouvante il est l'épouvante. b)Un autoportrait effrayant Son portrait paraît source de frayeur pour les officiers qui le regardent. D'ailleurs, le champs lexical utilisé pour témoigner de cette angoisse est très fort. Il et véhiculé tant par des réactions physiques que par l'extériorisation de sentiments : l'oeil rond ; ce regard d'effroi ; leur épouvante ; l'oeil affolé, rempli d'horreur ; ça ne trouble personne c'est de l'épouvante que je lis dans leurs yeux ; c'est l'horreur de mon regard que révèle le leur, horrifié Cette frayeur est normale, puisque le corps de Semprun est morcelé, usé, c'est un cadavre vivant Mais il s'agit d'une image, hélas, commune. [...]
[...] C'est, tout d'abord, ce que tendent à prouver les occurrences du verbe voir dans le texte. Mais aussi l'emploi du présent d'énonciation qui convoque, cinquante ans plus tard ce corps : je me vois devant le lecteur. C'est aussi la répétition des situations, répétition attestée par l'imparfait d'habitude, itératif : je voyais mon corps, sa maigreur croissante une fois par semaine, aux douches Cette quête désespérée de son corps est non seulement visuelle mais aussi sensorielle : privé de ses yeux, tous les moyens sont bons pour puiser à toutes les sources possibles quelques gouttes d'optimisme : pas de visage, sur ce corps dérisoire. [...]
[...] Cependant, l'existence de ce corps est toute relative. Tout d'abord parce que nombre d'organes qui devraient se présenter par paire sont esseulés : le creux d'une joue ; la main ; une arcade sourcilière Ensuite parce que, si l'on trouve la présence du pronom personnel je du verbe avoir pour signifier la possession, l'appartenance ou encore les adjectifs possessifs mon ; mes . on peut également observer que bien souvent des parties de son corps sont comme orphelins, dépourvues de souche, ceci est véhiculé par le jeu des articles démonstratifs péjoratifs ce corps ou des articles indéfinis une arcade des pommettes ce qui donne une impression générale de total détachement : Semprun se voit se donne à voir mais il le fait sans émotion, comme si ce corps n'était pas le sien. [...]
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