Marivaux, célèbre auteur de pièces de théâtre, nous livre en 1732 sa seizième comédie intitulée Le Triomphe de l'amour. Cette pièce ambivalente, à l'intrigue complexe mais au dénouement d'une grande simplicité, nous raconte l'histoire de la princesse Léonide qui, pour conquérir l'objet de son cœur nommé Agis, va devoir mener sur plusieurs fronts des intrigues de séduction. En effet, Agis a été élevé dans la haine de notre héroïne par les soins du philosophe Hermocrate et de sa sœur Léontine. Aussi, pour pouvoir approcher le jeune homme sans être soupçonnée, mais également pour vaincre les éventuelles réticences de celui-ci à son égard, et enfin pour se venger des ennemis de son amour, Léonide déguise son identité – elle se fait passer tour à tour pour un jeune homme, Phocion, ou pour Aspasie, une princesse en fuite - et entreprend de séduire non seulement Agis, mais aussi Hermocrate et Léontine.
Le passage que nous allons étudier est extrait de l'acte III : il s'agit de la scène VII. A ce niveau de la pièce, Agis, Léontine et Hermocrate sont tous les trois sous le charme de notre héroïne, qui n'a eu aucun mal à les duper. Dans cette scène, Hermocrate annonce à Agis son prochain mariage avec celle qu'il connaît sous le nom d'Aspasie. L'aveu est difficile à faire puisque le philosophe vivait jusqu'alors dans le mépris du sentiment amoureux. Aussi, comment s'y prend-t-il pour expliquer ce brusque revirement de situation à son petit protégé ? Et surtout, quelles sont les réactions d'Agis ? Nous allons voir que pour tempérer et expliquer cette confession inattendue, Hermocrate se pose en victime, ce qui donne à l'extrait une dimension comique et permet à l'auteur d'exprimer son ironie.
[...] En fait, en passant du statut de célibataire à celui d'homme marié (cf.l.46 Préparez-vous à me voir changer bientôt d'état), Hermocrate renonce également à une partie de son statut de sage, selon sa propre conception de la sagesse qui était, entre autres, la résistance au sentiment amoureux. Il prend alors brusquement conscience qu'il est semblable à n'importe quel homme, comme nous l'indique la comparaison de la ligne 11, et que, comme tout le monde (l.14) il est sensible aux choses de l'amour. Cependant, il met du temps à reconnaître ses erreurs de jugement concernant l'amour, et le fait progressivement. Face aux critiques d'Agis (l.18-19 et l.26-27), il commence par répondre de façon nuancée (cf. [...]
[...] La première consiste en une interpellation directe de l'interlocuteur, à savoir Agis, et traduit la volonté de prendre celui-ci à témoin. La deuxième, par sa tournure négative, montre qu'Hermocrate s'adresse un reproche à lui-même, ou plutôt à la personne qu'il était auparavant, et qu'il ne reconnaît plus. Cet autoportrait sévère vise bien évidemment à s'attirer l'indulgence d'Agis. Puis, Hermocrate incrimine le destin. Bien que celui-ci ne soit pas directement invoqué, il se dégage des paroles du philosophe une certaine soumission –réelle ou seulement feinte- à une fatalité. [...]
[...] ) des tons qui auraient triomphé du plus féroce des hommes (l.72 à 74). Mais surtout, elle est la véritable fautive, puisque c'est elle qui a invité Hermocrate à partage(r) (s)on amour (l.71-72), et non l'inverse. Aussi, si l'amour était tout à l'heure présenté comme un ennemi, ici, c'est Aspasie qui devient, par la présentation que nous en fait Hermocrate, une femme délicieusement dangereuse, une Eve tentatrice. On observe d'ailleurs qu'Agis, au début de la scène suivante, s'exclame en parlant d'elle La perfide ! [...]
[...] Ensuite, l'énumération de ses activités intellectuelles est mise en valeur par la reprise du pronom relatif qui (l.21), qui donne un rythme ternaire à ses paroles et traduit ainsi l'aspect routinier, laborieux et répétitif de ses travaux. Par ailleurs, on trouve dans ses paroles de nombreux termes se rapportant à la raison (cf. champ lexical : réflexion l.7, médite l.21, étudie l.21, les mots esprit l.22 et jugement l.24-25 pris dans leur contexte, raison l.28 et 32, raisonnable l.30). Cette accumulation tend à traduire l'atmosphère étouffante et austère (cf. [...]
[...] La banalisation de ce mal permet à Hermocrate de minimaliser les faits, et donc sa faute. Sa démonstration souhaite prouver qu'il n'est pas coupable d'avoir cédé à l'amour, puisque, n'étant qu'un homme, il ne pouvait lutter contre cette maladie qui sans cesse terrasse dans le monde. Enfin, Hermocrate rejette sa responsabilité sur Aspasie elle-même. En effet, s'il est tombé amoureux, c'est à cause de la jeune fille, qui a su ruser pour vaincre sa résistance. Il dénonce ainsi son habileté, et récapitule les stratagèmes employés par la princesse. [...]
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