Au sein de notre extrait, Poulou se délecte d'un petit livre, L'Enfance des hommes illustres, avec angoisse et fascination. En ces futurs grands hommes, il reconnaît son Destin et le fantasme d'une gloire posthume vient offrir un sens à son existence. Sartre nous expose cette névrose devenue sa nature même, son identité et sa carrière. Ce texte nous offre à voir un renversement des logiques, le monde semble être perçu en son envers : l'homme observe désormais sa vie du point de vue de sa mort (...)
[...] Mais quelle est alors la signification de cette présence latente de l'Histoire au sein du récit ? Il s'agirait sans doute, pour Sartre, de concilier la psychanalyse existentielle, consistant à dégager le choix originel d'une personne et étudiant l'homme dans la singularité de son histoire individuelle, et la sociologie marxiste qui perçoit en lui la collectivité. Sartre semble donc détourner l'autobiographie traditionnelle qui apparaît comme le récit individuel et singulier d'une enfance. Il refuse la démarche élitiste consistant à écrire l'enfance d'un homme illustre, mais adopte, au contraire, un point de vue démocratique, puisqu'il expose sa propre expérience uniquement car elle pourrait être significative de milliers d'autres. [...]
[...] Sincérité et Vérité : La question sous-jacente au sein de notre texte est de savoir pour qui et pourquoi écrit-on. Sartre s'attaque ici, avec virulence, au mythe du grand homme et de sa postérité. Comme nous l'avons souligné précédemment, selon lui, désirer une telle immortalité par les livres, c'est refuser la vie présente au profit d'un avenir posthume, par une attirance coupable pour les figures de la mort. Poulou rêve de mourir au monde réel et s'affecte d'un orgueil démesuré en pensant que la littérature relève d'une nécessité sociale. [...]
[...] Sartre se réinterprète, modifie ses souvenirs, les incline au gré de son message. Ainsi, Poulou imaginant sa mort, expose sa future cécité : Anne-Marie me trouvant à mon pupitre, gribouillant, elle disait Comme il fait sombre ! Mon petit chéri se crève les yeux. C'était l'occasion de répondre en toute innocence : Même dans le noir je pourrais écrire [ ] Nous ignorions l'un et l'autre que je venais d'informer l'an trois mille de ma future infirmité. Si ce souvenir est réel, il peut effectivement apparaître comme un signe du Destin, mais il s'agit davantage pour Sartre de démontrer que tout événement passé peut être relu à la lumière du présent. [...]
[...] En la désignant implicitement, il laisse entendre qu'il ne dit pas le vrai. Comment donc échapper à cette imposture ? Peut-être en cessant de croire au pouvoir de l'écrivain sur le monde sans toutefois oublier que cela sert tout de même page Les prémisses de la liberté : Finalement, cette autobiographie apparaît comme une quête identitaire. Il s'agit moins pour Sartre de restituer ses souvenirs d'enfance que d'expliquer son présent à partir de son passé. Il ne s'agit pas d'une rétrospection mais d'une introspection. [...]
[...] La seconde partie des Mots va venir interroger cette vocation familiale . Tout au long de cette séquence narrative, les thèmes de la mort et de la naissance s'entremêlent. Sartre nous dit être né de l'écriture puis déclame qu'« Entre neuf et dix ans il devint tout à fait posthume. En cela, l'écriture apparaît comme le processus de la vie permettant à l'auteur de questionner son existence. Après avoir joué à l'acteur et avoir expérimenté un autre lui-même, Poulou devient écrivain démiurge et éprouve toutes les tentations du pouvoir L'identification aux héros imaginaires lui permet d'accéder à une certaine forme de liberté puisqu'il parvient à sortir du monde des adultes dans lequel il est réifié. [...]
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