Dans l'extrait que nous nous proposons d'analyser, les personnages de Hamm, Clov et Nagg sont représentés par Beckett en train de prier Dieu, cette soudaine et inattendue marque de foi tournant en fait très rapidement à la farce brouillonne et bon enfant. Mais ce n'est pas la toute première fois dans la pièce que les actants se moquent du christianisme cette brusque envolée métaphysique de Hamm, vers le milieu de "Fin de partie", était presque immédiatement rendue quelque peu grotesque par une pantomime très agitée de Clov, en train de se gratter à cause d'une puce – cette puce devenant ensuite, une fois que Clov aurait révélé son existence à Hamm, le sujet de leur conversation (l'hypothèse d'un retour du Christ sur terre n'étant donc plus du tout dans l'actualité de leur discussion).
Grâce à ce motif de la puce, Beckett avait ainsi pu se moquer de la thématique abordée par Hamm. Mais, dans notre passage, comment le dramaturge s'y prend-t-il afin de se moquer une nouvelle fois du christianisme ?
[...] Le rôle moteur et ambigu de Hamm Hamm est à l'origine de la scène de prière qui occupe l'essentiel de notre texte : Prions Dieu. Par le biais de ce participe présent il impose à Clov et à Nagg (beaucoup plus qu'il ne les y encourage) à partager sa prière, et l'on voit à travers cet exemple que son usage du participe présent va dans le même sens que son usage très fréquent de l'impératif : ces deux temps lui servent à dominer son entourage, à les entraîner dans son sillage. [...]
[...] page 73.) Dans le monde de Fin de partie, la religion apparaît comme vaine, les actants ne sont plus capables de croire en quoi que ce soit. L'attitude de Hamm est d'autant plus ambiguë dans ce passage que, tout en manifestant de manière soudaine une fibre chrétienne, il va à l'encontre très précisément de ce que le christianisme enseigne. Lorsqu'en effet, après que Hamm ait ordonné à Clov et à Nagg de prier avec lui, Clov évoque l'existence d'un rat à moitié [mort] (page 73) dans la cuisine, Hamm, qui dans les scénettes précédentes avait montré à plusieurs reprises sa cruauté et son sadisme, ne peut s'empêcher de pousser Clov à en finir avec l'animal dès qu'ils auront terminé leur prière : HAMM. [...]
[...] Ici, Dieu semble en effet catégorisé par Hamm en tant qu'élément du quotidien qui serait susceptible de passer avant ou après quelque chose d'autre. Dieu, par là même, est donc rendu trivial. Enfin, et nous l'avons déjà mentionné dans le cas de Hamm, la religion est d'autant plus mise à distance par Clov et Nagg qu'elle est injuriée par eux : la phrase de registre vulgaire utilisée par Clov Je t'en fous ! page 74) aussi bien que le terme utilisé par Nagg Macache ! [...]
[...] Est comique également le fait que Hamm parvienne à une conclusion si nette et si tranchée Le salaud ! Il n'existe pas ! après, non pas même une démonstration plus ou moins longue, mais une simple prière silencieuse dont l'une des caractéristiques majeures est d'avoir été d'une grande brièveté Beckett (qui était athée, avec toutefois des périodes d'agnosticisme) suggérant peut-être par là qu'il n'y a guère besoin de toute une panoplie d'arguments pour se rendre compte de l'inexistence de Dieu. [...]
[...] NAGG. Ma dragée ! CLOV. Il y a un rat dans la cuisine. HAMM. Un rat ? Il y a encore des rats ? CLOV. Dans la cuisine il y en a un. [...]
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