Salammbô, Gustave Flaubert, exotisme, fatalité, guerre des Mercenaires, Antiquité
Publiée en 1862, Salammbô s'inscrit dans le prolongement du projet esthétique intransigeant de Gustave Flaubert, dont l'ambition, formulée à travers l'idéal du « livre sur rien », repose sur une quête absolue de la perfection formelle, affranchie de toute finalité morale, idéologique ou didactique. Ce roman constitue ainsi une démonstration de la volonté flaubertienne de sublimer l'histoire par la puissance du style et par une mise en scène où le faste du décor, l'extravagance des rites et la fureur des passions humaines se déploient avec une intensité picturale et sensorielle inédite.
[...] Cette altérité radicale trouve d'abord son expression dans la matérialité du langage lui-même. En ponctuant son récit de termes phéniciens dont la signification échappe au lecteur non averti, en multipliant les constructions syntaxiques alambiquées et les descriptions d'une minutie presque étouffante, Flaubert instaure un rapport de résistance entre son texte et son lecteur. La langue flaubertienne devient alors un instrument de dislocation du regard occidental, qui se trouve confronté à un univers régi par des logiques qui lui demeurent impénétrables. [...]
[...] La lumière crue qui baigne Carthage, le miroitement des étoffes précieuses, l'exubérance des parures, la luxuriance des banquets, tout concourt à une profusion visuelle et sensorielle qui s'inscrit dans une dynamique de fascination et d'oppression, renforçant l'impression d'étrangeté radicale qui se dégage du texte. Mais cette esthétique du faste ne saurait être dissociée de celle de la cruauté, qui constitue l'un des axes majeurs du roman. La violence, toujours omniprésente, devient l'un des ressorts fondamentaux du dépaysement : elle confère à l'univers carthaginois une dimension de sauvagerie fascinante, où la souffrance se fait spectacle, où la mort elle-même s'illustre dans une mise en scène d'une théâtralité funèbre. [...]
[...] Leur relation, qui semble être une romance tragique au sens classique du terme, est l'expression même de l'impossible, le symbole d'un antagonisme qui excède les simples individualités pour figurer l'antinomie radicale entre deux mondes inconciliables. Mâtho, dans son désir éperdu de posséder Salammbô, aspire à une fusion qui ne peut avoir lieu, car elle supposerait l'abolition des frontières infranchissables qui séparent le monde carthaginois, pétrifié dans sa grandeur décadente, de celui des mercenaires, voué à l'extinction. L'histoire elle-même les condamne avant même qu'ils n'aient pu s'aimer : ils ne sont que les instruments d'un drame qui les dépasse, les jouets tragiques d'un destin qui se referme inexorablement sur eux. [...]
[...] Cette profusion descriptive instaure une immersion absolue, où le lecteur, pris dans le vertige du détail, se trouve happé dans un univers où le réel et le fabuleux se mêlent intimement. La quête du « vrai », qu'il soit historique, sensoriel ou émotionnel, confère au roman une étrangeté envoûtante, où l'hyperréalisme documentaire côtoie une dimension quasi mythologique. Ainsi, Salammbô n'est pas seulement une fresque historique minutieusement reconstruite : elle est aussi une plongée dans un univers où la beauté et la barbarie, la démesure et la fatalité, le faste et la cruauté s'entrelacent pour composer une ?uvre d'une intensité inégalée, à la fois hallucination grandiose et expérience de dépaysement absolu. [...]
[...] Le sacré chez Flaubert n'est pas domestiqué, il ne fait pas l'objet d'une médiation rassurante : il s'impose dans toute son horreur, dans toute sa démesure, révélant l'abîme d'une civilisation dont les fondements échappent aux catégories habituelles de la rationalité occidentale. Carthage devient ainsi un espace ontologiquement étranger, non pas simplement en raison de sa différence culturelle, mais parce qu'elle défie jusqu'aux structures mêmes de la pensée qui tenteraient de l'appréhender. Mais cette altérité ne se limite pas à l'univers religieux et social de la cité punique ; elle contamine également la caractérisation des personnages eux-mêmes, au premier rang desquels Salammbô. [...]
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