Les "quelques hideux feuillets d' [un] carnet de damné" qui composent "Une saison en enfer" sont les seuls que Rimbaud ait publiés. Le poète les a rédigés en 1873, dans une période pour le moins troublée de sa vie : fuite, quête identitaire, reniement de l'idéal poétique auquel le jeune homme aspirait... L'auteur se livre à la damnation et dédie à ce "cher Satan" les neuf textes de la Saison. "Nuit de l'enfer" met en scène les divagations du poète qui a ingurgité une "fameuse gorgée de poison".
Si le poème transgresse l'ordre moral à travers une virulente critique du christianisme, il est avant tout une ode au non-sens. Les lectures que l'on peut en faire sont multiples, l'interprétation, hasardeuse. C'est une poésie qui va toujours au-delà du fond et de la forme et qui, in fine, ne conduit nulle part.
Rimbaud ingère un venin qu'il partage avec le lecteur. "Nuit de l'enfer" est un texte du reniement : il renonce à l'ordre moral, social, religieux, mais aussi - et surtout - à la poétique elle-même. C'est, en effet, un texte où règne "l'absence des facultés descriptives ou instructives". En choisissant de croire en des illusions, l'être se condamne lui-même à la damnation. L'enfer tout comme Dieu n'existe que dans l'esprit des hommes.
[...] Le rythme ternaire soutenu d'un crescendo marque l'ironie de la phrase. On passe d'une propriété la plus probable à la plus irréaliste. Rimbaud insiste sur cet état de fait: la religion est faite de croyances qui échappent totalement à la raison. L'homme doit se à des "mystères". L'emploi du terme n'est pas fortuit. Il désigne des "cérémonies secrètes en l'honneur d'une divinité et accessibles seulement aux initiés" ou le "dogme révélé comme objet de foi, et qui ne peut être expliqué par la raison" 1. [...]
[...] De fait, Rimbaud a sincèrement crû au pouvoir salvateur de la poésie avant de renoncer au "poison" littéraire. La figure christique qu'il incarne ici serait le symbole du poète salvateur. Les "petits enfants" à qui l'ont prête un esprit poétique développé s'opposeraient ainsi aux "travailleurs" laminés par les discours mensongers qu'on leur inculque. Pourtant, Rimbaud semble avoir perdu espoir: les enfants sont également appelés à écouter leur guide. Ce passage oscille donc entre critique de la propagande et amer constat d'illusions perdues. [...]
[...] D'autre part, le "bonheur" auquel il aspirait se révèle vain: il croyait en "des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix". Or, il ne s'agit pas là d'un paradis catholique. Le terme "suave" renvoie à une caractéristique humaine, les millions de créatures charmantes, au paradis dans la tradition musulmane On peut donc penser que Rimbaud "meur[t] de lassitude" face à ce désir de bonheur qu'il n'a pu apaiser. Et le poète répètera plus loin: "j'ai soif, si soif!" Aussi peut-on remarquer que beaucoup de termes et expressions du texte ont trait à l'eau ou du moins à l'élément liquide. [...]
[...] On ne sait pas quel est le propos tenu par Rimbaud dans cette œuvre. Le poison, c'est le poème qui n'est plus qu'une série d'hallucinations. En effet, l'auteur n'a de cesse de se contredire, d'user de syllepses ou d'ironie pour masquer la teneur exacte de ses dires. Ainsi transgresse-t-il l'une des fonctions primordiales de la littérature, qui est de signifier. Le mot ne renvoie plus à une image qui fait sens, perd son signifié dans une multitude de possibles. Il est un venin qui fourvoie l'esprit. [...]
[...] On s'intéressera d'abord à la manière dont Rimbaud transgresse l'ordre religieux. En choisissant de croire en des illusions, l'être se condamne lui-même à la damnation. L'enfer tout comme Dieu n'existent que dans l'esprit des hommes. On étudiera ensuite la manière dont l'auteur se met en scène dans son œuvre, à la fois schizophrène et "poète maudit". Enfin, on s'intéressera plus particulièrement à la forme poétique ici mise à mal et aux moyens qu'utilise Rimbaud pour déconstruire inlassablement son texte. Les "quelques hideux feuillets carnet de damné" qui composent L'enfer, chez Rimbaud, est tour à tour religieux et humain. [...]
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