C'est tout d'abord la surprise qui marque l'apparition de Ruy Blas, indiquée par la didascalie "Ruy Blas, survenant" puis à la didascalie d'attitude qualifiant les ministres : "Tous se retournent. Silence de surprise et d'inquiétude". D'une façon générale, cet effet de surprise tient dans la nature du discours théâtral employé par Hugo, un impromptu (apparition imprévue d'un personnage) qui prive de réponse les ministres et par la structure de vers éclaté qui ménage un silence entre apostrophe et invocation (v.78). Ruy Blas provoque donc les ministres par une apostrophe ironique : "Bon appétit, Messieurs" (v.78), apostrophe depuis devenue célèbre par sa destination à des personnages cupides et voraces (...)
[...] Le constat de Ruy Blas concernant le sort de l'Espagne est dramatique : l'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure (v.82) et marque d'entrée le discours du premier ministre. Ce constat se teinte d'une nostalgie de la grandeur passée du pays : L'Espagne et sa vertu, l'Espagne et sa grandeur, / Tout s'en va.» (v.88/89). Le propre d'un grand homme politique est de prévoir l'avenir de son pays, c'est ce que tente de faire Ruy Blas en évoquant un avenir des plus sombres : La France, pour vous prendre, attend des jours propices / L'Autriche vous guette (v.101/102). [...]
[...] L'énumération anaphorique du vers 114 : Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie désigne les ministres comme responsables de l'appauvrissement du pays et la proposition relative apposée et qu'on [le peuple] pressure encor (v.115) augure d'un avenir sombre et fataliste. Ainsi le romantisme révolutionnaire d'Hugo réapparaît dans cette tirade de Ruy Blas. Hugo en effet, été banni de France pour s'être opposé à Napoléon III. Ruy Blas –comme Hugo- représente le peuple face à un pouvoir corrompu mais sa condition de valet et d'homme de paille de Salluste voue ce morceau de bravoure à l'échec. [...]
[...] II Une analyse lucide L'analyse de Ruy Blas est extrêmement lucide, c'est la fonction du récit (v.89/94) qui évoque les territoires perdus par le royaume : «Nous avons / Perdu le Portugal, le Brésil / En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg / Le Roussillon, Ormuz, Goa / et Pernambouc, et les montagnes bleues On peut remarquer la rigueur dont fait preuve Ruy Blas dans sa longue énumération du déclin espagnol puisqu'il le situe dans le temps : depuis Philippe Quatre (v.89) et se montre méthodique en évoquant d'abord des territoires qu'il regroupe par aire culturelle, tout d'abord de langue lusitanienne : Portugal et Brésil puis de langue germanique : Alsace et Luxembourg puis de langue catalane : Roussillon pour finir par les comptoirs et les territoires les plus éloignés : Ormuz, Goa, Pernambouc, les Montagnes bleues. Le plus grave pour un état est de ne pas être pris au sérieux, Ruy Blas souligne ainsi le ridicule de la situation espagnole par l'antithèse du (v. 9)6 : L'Europe qui vous hait, vous regarde en riant A cette dimension grotesque, il apporte une ampleur spatiale : ponant jusques à l'orient (v.95) puis morbide par la comparaison qui assimile le roi d'Espagne à un fantôme (v.96). [...]
[...] Le champ lexical employé est celui de la mort et du deuil : sombre agonisante pleure (v.82), flétris tombe (v.85) car il signifie la fin de la maison d'Autriche qui règne sur l'Espagne, ce qu'indique explicitement Ruy Blas aux vers (103/104) : Et l'infant bavarois / Se meurt, vous le savez (v.104/105). La question oratoire : Quel remède à cela ? (v.107) qui n'appelle pas de réponse de la part des ministres traduit au contraire la dimension d'homme d'état de Ruy Blas. [...]
[...] Ruy Blas provoque donc les ministres par une apostrophe ironique : Bon appétit, Messieurs (v.78), apostrophe depuis devenue célèbre par sa destination à des personnages cupides et voraces. Cette dimension de provocation est renforcée par les antiphrases oratoires qualifiant les ministres : ministres intègres (v.78), Conseillers vertueux ! (v.79) et la didascalie d'attitude concernant Ruy Blas : Ruy Blas croise les bras, et poursuit en les regardant de face La violence des propos de Ruy Blas est renforcée par les antonomases et métaphores triviales : Serviteurs (v.80), Fossoyeurs (v.86), qui pillez la maison (v.78), «Que remplir votre poche et vous enfuir après (v.84), qui venez le [votre pays] le voler dans sa tombe (v.85). [...]
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