A la suite des deux actes précédents, l'acte III est consacré à un personnage de la pièce : Ruy Blas. En effet, depuis le début le spectateur peut ne pas comprendre d'où vient le titre éponyme du drame dans la mesure où le valet fait de courtes apparitions. Il est également presque dénué de toute parole. L'acte III marque ainsi un changement car la scène 2 est la tirade la plus longue de la pièce. Le personnage prend son ampleur dramatique à mesure que sa parole se déploie. Le théâtre est bien le lieu où les personnages n'existent que par leurs paroles. La scène 2 de l'acte III est ainsi une rupture car, de quasiment muet, Ruy Blas se révèle aux spectateurs, aux ministres et à la reine, (témoin caché) dans son rôle de grand d'Espagne pourfendant l'avidité de ceux qui sont au pouvoir. Cette scène est attendue par le spectateur puisque, précédemment, les ministres ont noté l'élévation singulière de celui que tout le monde pense être Don César. Le héros éponyme dénonce les malversations du pouvoir. Comme le signale Hugo dans sa préface, Ruy Blas représente ici l'ascension du peuple. Scène de tous les possibles dramatiques, le discours du personnage mêle pathétique et épique dans la description qui est faite de l'Espagne.
Le texte présente plusieurs mouvements. Dans un premier temps, Ruy Blas invective les conseillers de façon ironique et leur reproche de piller l'Espagne. Cette entrée en scène surprend le spectateur car un nouveau personnage lui apparaît. L'adresse aux ministres signale et confirme à la salle la montée sociale du héros qui remplit pleinement son rôle de premier ministre. Ruy Blas est alors à l'apogée de sa gloire. La virulence de l'adresse aux autres personnages qui restent muets la majeure partie de la scène est justifiée aux yeux du héros par la description, dans un second temps, du déclin de l'Espagne sur le plan de la politique extérieure (vers 1067 à 1090). Le second mouvement indique le danger face auquel risque d'être confronté le pays face aux menaces extérieures qui le cernent. Sur un registre épique, Ruy Blas montre combien l'insouciance des ministres a réduit l'Espagne à une position affaiblie. A la constatation d'un échec extérieur, suit la description d'un échec intérieur (vers 1091 à 1115). Le bilan amer de la situation est une condamnation de l'oppression du peuple par les Grands, tout occupés de leurs seuls intérêts et négligeant l'intérêt commun. Le héros devient alors le porte-parole du peuple pressé de toutes parts (...)
[...] Dans ce discours, Ruy Blas fait figure de roi et remplace le monarque absent, le trône est vide et l'homme du peuple pourvoit à cette absence et à ce désintérêt royal. Le rejet de la formule Tout s'en va par sa brièveté rythmique suggère la situation sans issue du pays. C'est ainsi que le projet de Hugo : donner une voix à ceux qui n'en n'ont pas s'accomplit : par le nous employé par le héros, Ruy Blas devient le porte-parole de l'ensemble du pays. [...]
[...] L'anaphore Mais voyez souligne l'aspect pathétique du discours du héros. La conjonction mais montre l'opposition entre leur attitude égoïste et le malheur dan lequel est plongé le pays. La pause qui suit ce mais voyez souligne la gravité de ce que dit le personnage. Dans une hyperbole épique du ponant jusques à l'orient il pointe le danger du pays. La personnification de l'Europe ainsi que le rythme ternaire qui l'accompagne fait prendre conscience de la gravité de la situation. Ruy Blas se révèle sous un autre jour. [...]
[...] L'intérêt dramaturgique de cette scène se mesure dans la suite où la reine reconnaît alors un homme digne d'elle par le cœur, car noble dans ses pensées. Cet extrait prépare ainsi la reconnaissance de la souveraine qui amènera la déclaration d'amour attendue des femmes, d'après la préface de l'auteur. [...]
[...] Nous notons ensuite un changement de personne puisque nous passons du nous dans lequel Ruy Blas s'inclut à votre dans lequel le même s'exclut : votre roi (V. 1077). Ceci marque la jalousie du personnage et sans doute le mépris dans lequel il le tient de ne pas remplir ses fonctions. Toutefois, il emploie des précautions oratoires Comme si ayant conscience de ne pas devoir outrepasser les limites de l'étiquette et du respect qui est dû à une personne royale. [...]
[...] Sûr de sa gloire, le héros, théâtralement assoit le pouvoir de sa parole à venir. Son attitude fonctionne dans la mesure où les Grands se taisent et reconnaissent ainsi tacitement au héros le droit à la parole et sa supériorité. La surprise est d'autant plus marquée que l'alexandrin est disloqué sur deux temps, soulignant ainsi l'efficacité de son entrée en scène. L'ironie mordante du second hémistiche ministres intègres est suggérée par le rapprochement sonore des dans ministre et intègre qui donne une contiguïté de sens entre les deux mots et le ô, dit lyrique, qui n'est qu'une marque de moquerie. [...]
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