La didascalie qui clôt la scène précédente, montre Ruy Blas caché, puis occupe le premier plan et prend la parole, d'où un effet de surprise. La démarche du héros, son costume « vêtu de noir », « écarlate », « toison d'or au cou », tout impose silence aux ministres et rend le discours de Ruy Blas symbolique, car ils n'osent pas interrompre son réquisitoire, les ministres reconnaissent implicitement l'autorité que la forme de son discours et l'élévation de sa pensée imposent. Ils se trouvent dans un lieu du pouvoir et de décision. Le décor est symbolique : « un grand fauteuil recouvert de drap d'or et surmonté d'un dais en drap d'or, aux armes d'Espagne, timbrées de la couronne royale », ce fauteuil qui reste vide, a les mêmes couleurs que le manteau de Ruy Blas, C'est donc Ruy Blas qui porte un symbole royal, qui se substitut au monarque absent. C'est l'homme du peuple qui fait entendre le discours que l'on attendrait dans la bouche du souverain, la progression du discours est fondée sur des indices d'énonciation. Les conseillers d'abord sont violemment apostrophés : invitation sarcastique « bon appétit, messieurs », et deux antiphrases « Ô ministres intègres ! / Conseillers vertueux » accentuées par la diérèse de « vertueux ». L'acte d'accusation est fondé sur l'emploi de la deuxième personne du pluriel « vous n'avez pas honte », « pas d'autres intérêts », ainsi que l'adjectif possessif « votre poche », « votre pays », et les verbes à l'impératif « voyez », « soyez ». Ruy Blas évoque d'abord les pertes de l'Espagne, puis décrit son état actuel : avec l'anaphore « mais voyez » qui signale les deux étapes de ce tableau sinistre. Ruy Blas, fait éclater son mépris.
[...] Écrase du talon Ce pays qui fut pourpre et n'est plus que haillon. L'état s'est ruiné dans ce siècle funeste, Et vous vous disputez à qui prendra le reste ! Ce grand peuple espagnol aux membres énervés, Qui s'est couché dans l'ombre et sur qui vous vivez, Expire dans cet antre où son sort se termine, Triste comme un lion mangé par la vermine ! Charles-Quint, dans ces temps d'opprobre et de terreur, Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant empereur ? [...]
[...] Tout se fait par intrigue et rien par loyauté. L'Espagne est un égout où vient l'impureté De toute nation. tout seigneur à ses gages À cent coupe-jarrets qui parlent cent langages. Génois, sardes, flamands, Babel est dans Madrid. L'alguazil, dur au pauvre, au riche s'attendrit. La nuit on assassine, et chacun crie : à l'aide ! Hier on m'a volé, moi, près du pont de Tolède ! La moitié de Madrid pille l'autre moitié. Tous les juges vendus. Pas un soldat payé. [...]
[...] Et vous voulez, mes maîtres ! . Ah ! J'ai honte pour vous ! au dedans, routiers, reîtres, Vont battant le pays et brûlant la moisson. L'escopette est braquée au coin de tout buisson. Comme si c'était peu de la guerre des princes, Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces, Tous voulant dévorer leur voisin éperdu, Morsures d'affamés sur un vaisseau perdu ! Notre église en ruine est pleine de couleuvres ; L'herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d'oeuvres. [...]
[...] La France pour vous prendre attend des jours propices. L'Autriche aussi vous guette. Et l'infant bavarois Se meurt, vous le savez. quant à vos vice-rois, Médina, fou d'amour, emplit Naples d'esclandres, Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres. Quel remède à cela ? l'état est indigent, L'état est épuisé de troupes et d'argent ; Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères, Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères. Et vous osez ! . messieurs, en vingt ans, songez-y, Le peuple, j'en ai fait le compte, et c'est ainsi ! [...]
[...] À peine six mille hommes, Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards, S'habillant d'une loque et s'armant de poignards. Aussi d'un régiment toute bande se double. Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble Où le soldat douteux se transforme en larron. Matalobos a plus de troupes qu'un baron. Un voleur fait chez lui la guerre au roi d'Espagne. Hélas ! Les paysans qui sont dans la campagne Insultent en passant la voiture du roi. [...]
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