Le cadre du bonheur nous est présenté d'abord à la faveur d'un contraste satirique avec les goûts des parvenus de l'époque. C'est à la campagne, bien sûr, que vivrait Jean-Jacques, non pas dans un château somptueux, mais, et la formule est restée célèbre, dans une petite maison rustique, une maison blanche avec des contrevents verts (l. 3-4).
Quelques détails concrets évoquent une image simple : la maison blanche, les volets verts et le matériau dont doit être fait le toit : non pas le chaume, ni la triste ardoise, mais la tuile (l. 5-6) ; sans doute la tuile est-elle plus onéreuse que le chaume, sans doute révèle-t-elle des goûts de luxe (et c'est ce que Rousseau exprime, dans un sourire, par l'adverbe magnifiquement, l. 6), mais elle a deux qualités qui justifient cette préférence, elle est plus gaie (l. 7), et surtout elle lui rappellera l'heureux temps de sa jeunesse. (...)
[...] 20) , simple et sain, sans aucune trace de corruption. Ceci concerne surtout les femmes (l. 20) : il souhaite voir près des femmes qui sachent prendre part aux travaux des champs, être villageoises au village (l. 24). L'activité déployée dans les travaux champêtre aiguise l'appétit, et c'est une longue description des repas qui vient alors, non pas description des menus, mais analyse du climat moral dans lequel se dérouleraient ces repas. C'est le mot de gaieté qui traduit par excellence ce climat : aucune contrainte (ordre, l. [...]
[...] 42) issue non du cœur, mais de l'éducation. Tout cela est résumé dans la jolie formule terminale: et plus fait pour lier les cœurs (l. 42-43), encore un octosyllabe qui traduit ce rêve profond de Rousseau : pas de bonheur véritable sans amitié sincère. C'est cette société selon son cœur, cet appétit de tendresse humaine qui se manifeste si souvent chez lui, et qu'il a su si rarement inscrire dans la réalité ; et c'est peut-être de cela qu'ici, comme ailleurs, il se dédommage par le rêve. [...]
[...] " Cet ennemi du genre humain, qui est en définitive un incurable optimiste, apprend dans la contemplation de la vie champêtre le prix de la sympathie affectueuse et agissante pour ses semblables. La petite maison et son frais paysage sont des professeurs de vertu" (M. Roustan). Sans doute sommes-nous ici un peu en marge de l'Emile ; n'en est-ce pas cependant une page touchante ? Peut- être Rousseau était-il plus fait pour chanter ses souvenirs et ses rêves que pour exposer ses principes. [...]
[...] Cette joie, c'est elle qui donnerait un prix aux dons simples (l. 57-58) que ferait Jean-Jacques et aux biens d'un prix inestimable (l. 59) qu'il recevrait en échange, la franchise et le vrai plaisir (l.60). Ces mots précisent une dernière fois le climat moral du passage, avant que ne vienne la conclusion qui présente Rousseau, le misanthrope, le méchant faisant chorus au refrain d'une vieille chanson rustique (l. 61-62) et dansant dans la grange (l. 62). Comme dans ce texte des Rêveries, rappel d'un bonheur perdu, dans celui qui nous occupe ici et qui traduit un rêve de bonheur, nous pouvons être sensibles à un rythme dansant qui nous fait entendre le pas des paysans en sabots : et je danserais dans leur grange en élidant l'e muet final) / de meilleur cœur / qu'au bal de l' Opéra : c'est plus une bourrée qu'un menuet, avec des sons lourds et une cadence bien marquée ; et ce n'est évidemment pas le bal de l'Opéra, dernière pointe contre la civilisation raffinée, destinée à nous rendre sensible la joie simple et saine de la vie à la campagne. [...]
[...] J.Jacques n'y manquera donc de rien et les mœurs que n'aura pas corrompues le luxe, y auront conservé leur simplicité primitive. Mais il est un mot qui exprime parfaitement toute la valeur morale de cette description : mon asile (l.16) Dans la dernière phrase l'émotion, délicatement indiquée par le mot d'asile, se traduit aussi dans le rythme : parce que j'aurais choisi mon asile ( 10) dans quelque province éloignée / où l'on voit peu d'argent et beaucoup de denrées / et où règnent l'abondance et la pauvreté sous la forme 4 + 8 ; c'est sur un rythme d'octosyllabe que tout naturellement se termine cette description). [...]
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