Le roman sur rien, Flaubert, Proust, Guillaume IX d'Aquitaine, poétique romanesque du vide, vacuité de la vie, logique circulaire
Guillaume IX d'Aquitaine commence une de ses chansons par « Je ferai un vers de pur néant ». Il est très audacieux de commencer un écrit en disant que l'on n'évoquera rien, que ce récit est un récit sur le « néant », un récit sur rien. Cette idée pourrait presque être considérée comme un paradoxe performatif (l'auteur écrit en disant qu'il n'écrira sur rien). On peut aussi penser ce désir de l'écrivain comme un souhait récurrent de l'écriture, au sens où les auteurs ont souvent cherché à atteindre cette écriture « pure ». On pense évidemment ici à la très célèbre phrase de Flaubert, dans une lettre de janvier 1852 à Louise Collet : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible si cela se peut ».
[...] Elle s'ouvre sur Longtemps je me suis couché de bonne heure et se finit par le mot temps Elle obéit à une logique cyclique avec la mort au centre. Cet éternel recommencement, ce vide, est aussi symptomatique de certaines œuvres du Nouveau Roman. Par exemple, dans La Jalousie, Alain Robbe-Grillet décrit à la page 103 une scène entre A et Franck : A est immobile, assise bien droite au fond de son fauteuil. Elle regarde vers la vallée, devant eux. Elle se tait. Franck, invisible sur la gauche, se tait également, ou bien parle à voix très basse. Les personnages sont immobiles. [...]
[...] Enfin, il faut revenir tout simplement à ce terme de silence : n'est-ce pas en ne disant rien que l'on dit le vide ? Tout d'abord, on a bien une poétique romanesque du vide dans le sens où nos récits refusent les événements. Très souvent, les personnages se taisent. Gérard Genette explique d'ailleurs que si Madame Bovary peut être apparentée à un roman sur rien, c'est parce que l'œuvre évoque la vacuité de la vie. Elle met en branle une écriture de la déchéance, Madame Bovary est un roman de l'échec. [...]
[...] Proust écrit les mots. On pourrait peut-être comparer cette idée à certains poèmes de Mallarmé, notamment le Sonnet IV, appelé Sonnet en yx où le poète crée des vers sans réel sens. C'est une recherche des sonorités plus qu'une recherche de la signification. Il faut entendre la langue plus que la comprendre. On avait vu précédemment que nos personnages étaient les personnages de l'inaction, de l'attente et du rêve. On peut maintenant s'intéresser à l'écriture de cette inaction, de ce temps qui semble ne pas s'écouler. [...]
[...] Le moment clé arrive enfin. Et pourtant, le retour à l‘imparfait est tout autant significatif : Charles revient au second plan. Ses aposiopèses Père Rouault Père Rouault montrent une parole en train de s'éteindre. Sa figure de héros romanesque est démolie. Dans l'inaction, il se disqualifie en tant qu'il pourrait être un mari. Or on peut bien penser que c'est justement ce recours à l'imparfait qui rend tout au même plan, qui fait de ce moment clé un moment vide. [...]
[...] Ils ne sont plus des outils, mais bien des sujets. Flaubert écrit ainsi dans une lettre à George Sand de décembre 1875 : Enfin, je tâche de bien penser pour bien écrire, mais c'est bien écrire qui est mon but, je ne le cache pas Flaubert et Proust n'écrivent plus avec les mots, ils écrivent les mots. Ils triche la langue comme l'énonce Roland Barthes dans les Essais critiques. La langue peut ainsi s'entendre hors pouvoir, sans sa visée narrative. [...]
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