C'est dans la Maxime supprimée 1 (abrégée la plupart du temps sous la forme MS 1) que La Rochefoucauld présente de façon étendue et particulièrement saisissante sa conception de l'amour-propre. Quand on compare la MS 1 à d'autres maximes où La Rochefoucauld parle de l'égoïsme, on se rend compte de la grande richesse et de l'originalité remarquable de ce texte. C'est un texte qui se prête à une très grande diversité d'approches critiques et de méthodes d'analyse.
[...] L'amour-propre est à l'apogée de sa gloire, en première position dans le recueil. Parmi les modifications du texte, il n'est plus question des gens de piété, et le mot piété est remplacé par austérité Désormais l'amour-propre est dénoncé essentiellement non plus chez les dévots, mais chez les stoïciens, les philosophes qui ont cru pouvoir surmonter la nature. Pourquoi ? En raison de sa place en première ligne, avec la proximité du frontispice (Sénèque démasqué) Quatrième étape : l'édition de 1666. Coup de théâtre : la maxime est supprimée. [...]
[...] Pourquoi des images, justement ? Si l'amour-propre est, comme on l'a dit, infiniment changeant, on ne peut à proprement parler fixer l'original en portrait, il faut donc proposer une multitude d'images, dans une sorte de portrait allégorique, mais aussi en mouvement. Deux métaphores en particulier pour ce portrait : J'ai déjà parlé de la première métaphore qui est celle de l'abeille. Je précise tout de suite ici que l'abeille qui butine les fleurs pour faire son miel est un lieu commun depuis l'Antiquité pour désigner la lecture : c'est peut-être déjà une façon pour La Rochefoucauld de tendre un miroir au lecteur et à son amour-propre. [...]
[...] C'est peut-être une des raisons pour lesquelles il a été supprimé, la sensibilité de La Rochefoucauld devenant davantage classique. La fréquence des pronoms il ainsi que les attributs comme la capacité de voir, de sentir, d'entendre, d'imaginer, de soupçonner peuvent faire penser à une personnification, à une anthropomorphisation de l'amour- propre. Mais lui qui est abeille et océan, lui qui ne cesse de se transformer, et surtout, lui qui forme de monstrueux enfants, cet objet est bien plutôt un monstre. [...]
[...] Il semble alors que de la maxime nous passions au portrait, l'auteur allant jusqu'à peindre une réalité abstraite comme si elle était le plus vivant des êtres. La répétition martelante du pronom il qui revient 71 fois dans ce texte, est un premier signe de ce genre du portrait. Mais deux problèmes se posent alors : d'une part l'amour-propre est une abstraction, une idée, d'autre part l'amour-propre ainsi que le montre ce texte est infiniment changeant. Comment alors le peindre ? Eh bien par le moyen d'un portrait allégorique, c'est-à-dire qui figure l'amour-propre par des images. [...]
[...] A cet égard, le symbolisme final de la mer associe bien l'idée de mouvement, mais aussi celle du piège, du gouffre de l'infini. L'image de la mer symbolise également le style de ce texte dans son ensemble : un style périodique, marqué par une dynamique de prolifération. L'inconstance Ces éternels mouvements sont étroitement liés à la profonde instabilité qui caractérise le monde dans lequel il vit : les changements qui viennent des causes étrangères Et en même temps cette inconstance est inhérente à son essence, car il y a une infinité de changements qui naissent de lui et de ses propres fonds : c'est toute la capacité de métamorphose inhérente à l'amour-propre. [...]
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