Traditionnellement l'ouverture de roman donne les informations qui permettent de situer l'époque et le lieu de l'action, les personnages et leurs relations et le point de départ de l'intrigue. On distingue des variations parmi lesquelles on reconnaît l'incipit in medias res et l'incipit différé. Celui que propose Robbe-Grillet se présente comme une sorte d'incipit différé dans la mesure où la présentation du personnage principal Wallas est reportée plus loin. Mais ce prologue a fourni tout de même la matière du roman qui semble construit à la façon des romans policiers qui relatent des évènements mystérieux et souvent criminels avant l'entrée en scène du détective chargé de les élucider. Il apporte cependant les informations attendues de ce type de texte, à savoir : un lieu : "la salle de café" ; un moment : "il est six heures du matin" et un personnage : "le patron" (...)
[...] L'action a lieu en vingt-quatre heures (unité de temps) en une seule ville (unité de lieu) autour d'un crime probable (unité d'action). La principale raison que l'on peut invoquer pour expliquer ce phénomène est le désir déjà signalé de réécrire une sorte de tragédie œdipienne contemporaine tramée au fi d'une parodie de roman policier. Cinquième et sixième paragraphes La fin du texte opère une véritable mise à mort du personnage dont Robbe- Grillet écrira dans Pour un nouveau roman qu'il s'agit d'une notion périmée On notera que le paragraphe commence comme une découverte après un implicite lever de rideau La découverte suit d'ailleurs celle qu'un spectateur de théâtre peut accomplir lorsque s'ouvre le rideau : il voit d'abord un gros homme topos du patron de café). [...]
[...] Les éléments informatifs sont remarquables de banalité. Il semble par ailleurs amplifier sur le plan thématique la notion même d'ouverture. En effet six heures est l'heure matinale (début du jour) où le café se prépare à ouvrir ses portes, où le patron dispose les objets ; l'ensemble du texte se présente d'ailleurs comme un passage progressif à la lumière (de la pénombre de la salle à la lumière s'allume Premier paragraphe La présence des tables des chaises et des siphons d'eau gazeuse produit l'effet de réel . [...]
[...] Endormi et quasi inexistant dans la première partie du texte, le personnage est effacé et expulsé de la seconde. L'autre atteinte au personnage est la multiplication de son image. En outre, on observe que la même structure de mise en apposition est utilisée deux fois consécutives, mais si dans le premier cas le patron explicite gros homme dans le second cas le patron explicite une image malade : l'homme et l'image ont la même dignité à être désignés comme patron ; mais dès lors qu'est-ce qu'un patron ? [...]
[...] Encore une fois, au moment même où il semble avancer dans le réalisme romanesque, le texte en conteste la pertinence. L'auteur poursuit sur un mode ludique ces constatations, en entreprenant un jeu de perturbation des critères de l'espace et du temps ; puisque le texte a fait l'économie explicite des intentions humaines il continue en oubliant le personnage. On notera donc que chaque seconde devient le sujet de la proposition, seul sujet d'ailleurs de toute la fin du. paragraphe dont la plus grande partie fait l'économie de verbes comme pour conférer à la scène un aspect virtuel et/ou mécanique. [...]
[...] Aussi cet incipit est-il plus qu'une simple entrée en matière. C'est plutôt une contestation de la matière même dont sont faits les romans. Car s'il est vrai qu'on attend de ces ouvertures romanesques la présentation d'un personnage en un lieu dans une époque donnée, faut ici se rendre à l'évidence : derrière une vague fiction de réalisme assez parodique, Robbe-Grillet joue avec les éléments qui constituent l'écriture romanesque comme avec un jeu de construction voire de déconstruction Confusion de l'espace et du temps, de l'animé et de l'inanimé, agression contre le personnage traditionnellement au centre du récit : tout ceci contribue à troubler le lecteur. [...]
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