Antérieurement aux deux œuvres du tournant du XVIIe que sont le Spectateur français et les Caractères, Molière en 1664, pour répondre aux opposants de sa pièce le Tartuffe, qui le soupçonnaient d'avoir attaqué, au-delà de la fausse dévotion, la religion elle-même, leur répondit dans sa préface « Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire, et rien ne reprend mieux la peinture des hommes que la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices que de les exposer à la risée de tout le monde. » Marivaux, et plus encore La Bruyère, qui reprend directement le personnage de Tartuffe en l'incarnant en la personne d'Onuphre au fragment 24 du chapitre de la Mode, perpétuent la tradition classique moliéresque puisque que tous deux s'attachent à peindre la vaste comédie humaine, par une critique acerbe des mœurs de leur temps, et où tous deux poursuivent sensiblement le même objectif, à savoir de rendre l'homme raisonnable pour La Bruyère, et de réintroduire davantage d'humanité, de simplicité dans les relations sociales pour Marivaux. Une peinture de la comédie humaine qui n'est toutefois jamais à dissocier du rire que les deux auteurs cherchent à provoquer chez le lecteur, ni du ton plaisant, divertissant qui émanent de ces deux œuvres. Nous poserons alors cette question : « De quelle manière le rire et l'humour participent de l'instruction morale des deux œuvres et constituent une véritable stratégie argumentative dénonçant les mœurs de la société contemporaine aux deux auteurs ? »
[...] Pourquoi le rire est tragique chez ces deux auteurs ? Parce que tous deux nous font rire à nos dépens ; il est en effet difficile d'échapper à l'identification face aux travers qu'ils nous peignent, et lorsque nous rions de Théodote, Pamphile, c'est de nos propres vices dont nous nous moquons, de notre propre image que le texte nous renvoie comme un miroir, comme l'exprime Marivaux dans la vingt-troisième feuille c'est des hommes en général que je ris, c'est de moi que je vois dans les autres De sorte, on peut parler d'une vertu cathartique du rire, le rire châtie les mœurs pour Bergson, nous fait prendre conscience de notre ridicule. [...]
[...] Ainsi Marivaux écrit-il dans la première feuille j'ai passé ma vie à examiner les hommes observation révélatrice de la distanciation qu'il opère entre lui et les autres, l'amenant à un regard critique de la société. C'est par ce registre satirique que les œuvres de ces deux auteurs se différencient d'une farce gratuite et d'un traité moralisateur et se révèlent être le fruit d'une tension dynamique entre ces deux constantes. Ainsi, l'attitude des courtisans et des Grands est perçue de manière satirique par La Bruyère et Marivaux, et nous est retranscrite au moyen de procédés linguistiques singuliers. [...]
[...] Autrement dit, il n'y a pas toujours adhésion de l'énonciateur à ce qu'il dit, une coïncidence entre l'auteur et la voix qui dit je ce qui invite le lecteur à une lecture à rebours, attentive, sous peine de dénaturer la pensée première de l'auteur. Ainsi, par l'utilisation du pronom nous La Bruyère adopte le point de vue des Grands pour mieux en faire la satire, par exemple dans le fragment 23 des Grands : Evitons d'avoir rien de commun avec la multitude, affectons au contraire toutes les distinctions qui nous séparent Par ce procédé qu'est l'ironie, La Bruyère sous-tend un mouvement de disqualification et de moquerie. [...]
[...] Enfin, le troisième point est le dévoilement de l'être profond de Marivaux. Rousseau, dans la lettre à d'Alembert estime que toute parole sincère est vrai puisqu'elle traduit un ressenti, une perception singulière de la réalité qui peut s'exempter, en toute mesure, d'un raisonnement rigoureux. Ainsi, on assiste dans le Spectateur français, à des monologues intérieurs du narrateur qui nous dévoile ses doutes et ses interrogations, par exemple à la troisième feuille, dans laquelle Marivaux se pose la question de savoir comment une femme laide peut masquer sa laideur en toute bonne foi. [...]
[...] On n'écrit que pour être lu écrit d'Alembert en réponse à Rousseau lorsque ce dernier reprochait à Molière de s'être plié au goût du public, plongeant son théâtre dans l'immoralité, perdant ainsi la dimension instructive de ses pièces en faisant perdre à son théâtre toute vertu morale. Cette volonté de plaire à ses lecteurs interdit donc à l'auteur la formulation de toute critique envers son destinataire, ce qui a imposé à La Bruyère comme à Marivaux d'adopter deux formes humoristiques différentes. Tout d'abord, La Bruyère stigmatise les comportements sociaux. [...]
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