Rica et sa vision de l'Occident dans "Les Lettres Persanes" de Montesquieu

Résumé du document

Dans la lignée de L'espion du Grand Seigneur (Marana, 1684), d'une traduction française du Coran (André de Ryer, 1685) et documenté par Voyages en Perse (Chardin, 1687), Les Lettres Persanes (d'abord Anonyme, 1721) retranscrit les événements récents de l'histoire de France, à travers les échanges de deux Persans. Ainsi en est-il de grands événements tels que le désastreux épisode de Law, et de lois ouvrant à polémique, la bulle Unigenitus par exemple qui condamne le jansénisme. Mais Montesquieu se fait aussi le peintre de la société de son temps, en dehors des affaires politiques : il évoque les mœurs frivoles et la superficialité de son époque, dénonce les absurdités inhérentes aux institutions françaises.

Profitant donc de la forme romanesque et de l'engouement général pour l'orientalisme, il exerce une critique acerbe de la société, à peine voilée dans les lettres de son personnage Rica. En effet, la vivacité d'esprit et la jeunesse de celui-ci se prêtent à merveille à un tel exercice : nous nous intéresserons donc ici au lien entre l'évolution de Rica et sa découverte progressive de l'Occident.

Extraits

[...] Par exemple, pour rester dans le domaine de la critique, citons celle de la vanité. La lettre 66 donne un bel exemple de comportement vaniteux : les Français veulent avoir de l'esprit et donc, dans ce but, veulent tous écrire des livres ; pourtant, il n'y a rien de si mal imaginé : [ ] un sot devrait être content d'avoir ennuyé tous ceux qui ont vécu avec lui [ ] ; il veut que la postérité soit informée qu'il a vécu, et qu'elle sache à jamais qu'il a été un sot. [...]

[...] Le fait d'inclure les injustices montre l'absolu pouvoir des femmes, qui ne s'occupent pas que des tâches agréables et ont la mainmise sur toutes les affaires : Les femmes en général gouvernent, et non seulement prennent en gros, mais même se partagent en détail toute l'autorité. Il évoque également les religions 29) : l'Inquisition espagnole, où les ecclésiastiques ont tout loisir de faire brûler un homme comme de la paille la violence générale : il n'y a jamais eu [ ] tant de guerres civiles que dans [le royaume] du Christ avant de louer le mahométisme : Heureuse la terre qui est habitée par les enfants des Prophètes ! [...]

[...] Sa façon de penser se mêlera peu à peu d'apports occidentaux, tout en s'approchant plus d'une réflexion constructive. En effet, au fil du temps et des découvertes, Rica, naturellement très porté à faire de l'humour, devient un critique éclairé de la société ; c'est à travers lui que s'expriment les idées de Montesquieu. Mais il va également mûrir et parvenir à des réflexions plus profondes, sur la philosophie ou la morale. Finalement, imprégné du modèle occidental où il évolue désormais, il finira par s'éloigner des coutumes persanes. [...]

[...] Il a même suffisamment côtoyé ces femmes pour les connaître et savoir ce qui leur plaît ; il en a plus appris dans un mois [qu'il] n'aurait fait en trente ans dans un sérail. Concernant le sérail, justement ; ce qu'il qualifie, déjà, de prison à la lettre 55 ouvre ses portes dans le conte d'Anaïs (lettre 141) : [Le nouvel Ibrahim] congédia les eunuques, rendit sa maison accessible à tout le monde ; il ne voulut pas même souffrir que ses femmes se voilassent. La retranscription de ce conte est le témoin de la remarquable ouverture d'esprit que Rica a acquise au fil du temps. [...]

[...] Rica est jeune (le désarroi de sa mère qui le réclame montre qu'il n'est pas même marié), vif d'esprit et de bonne constitution ; il est donc dans de bonnes dispositions pour explorer le pays qu'il vient de rejoindre, et sa gaieté naturelle lui permettra de relater avec humour les faits dont il sera témoin. Il est curieux et s'émerveille facilement de tout à son arrivée à Paris ; mais c'est aussi un portraitiste doué qui sait restituer un caractère, une ville avec autant de concision que de précision. Il reste cependant très attaché à ses traditions, ses valeurs persanes. La première de ses lettres (lettre 24) évoque différents sujets : la grandeur de Paris, la puissance du Roi et du Pape. [...]