Qui donc était le Révérend Père André Blanchet, aujourd'hui quelque peu oublié mais pourtant reconnu, au tournant du XXe siècle, comme un critique littéraire majeur de son temps ? Né en 1899 et mort en 1973, il organisa sa vie autour d'un double pôle. De fait, le P. Blanchet, c'est d'abord celui qui, dès l'âge de vingt-six ans, offrit sa vie à Dieu, devenant membre de la Compagnie de Jésus. C'est aussi celui qui fut, à partir de 1947, rédacteur dans la revue Études. En contact avec de nombreux hommes de lettres de son temps (en particulier Paul Claudel et Marie Noël), il rédigea de nombreux articles de critique littéraire, dont il réunit les plus importants dans La Littérature et le spirituel, œuvre consacrée en 1959 par le Grand Prix de la critique littéraire. Y analysant les ouvrages des auteurs les plus divers, appartenant ou non à son siècle, possédant la foi ou y étant hostiles, il semble cependant avoir fait convergé tous ses textes vers un centre : dans tous, il tente de pénétrer l'écrivain à travers son roman, le peintre à travers sa peinture ; en un mot, l'homme intérieur qui se cache derrière l'œuvre et son rapport avec Dieu. Car pour lui, la littérature ne trouve son sens que par la religion ; « la littérature est, à mes yeux, inséparable du spirituel », explique-t-il dans l'avant-propos du deuxième tome de La Littérature et le spirituel. D'où la remarque de Ravier : « La Littérature et le spirituel […], c'est la devise d'une vie : en ces deux mots conjoints s'enclôt sa recherche fondamentale ».1
C'est ce jésuite passionné de littérature qui consacra maints articles à l'œuvre de Blaise Pascal. Pourtant, tout semblait devoir le détacher de cette écrivain : la querelle qui longtemps opposa les jésuites aux jansénistes, le P. Blanchet est loin de l'avoir oubliée, et à plusieurs reprises dans ses textes critiques, il dénonce violemment les tenants de cette « hérésie ». Car il ne peut admettre que l'on rejette la création comme quelque chose d'impur, que l'on se détache définitivement du monde, le considérant comme un obstacle nous empêchant de nous élever vers Dieu. De fait, imprégné de l'œuvre de Claudel, il estime qu'il faut réinvestir le monde après avoir trouvé Dieu, pour y retrouver les empreintes laissées par le Créateur ; qu'il est nécessaire pour le chrétien de voir en autrui le visage divin. Dès lors, pourquoi s'attarder à analyser des œuvres dans lesquelles sont développées des idées qu'il condamne ? Peut-être est-ce le paradoxe de cet écrivain qui le retient. Car ce que voulait faire Pascal, c'était avant tout nous conduire à Dieu grâce à des ouvrages apologétiques ; mais ce qu'il nous a légué avec les Pensées, c'est peut-être surtout une œuvre reconnue pour sa valeur littéraire. Œuvre littéraire, donc, mais dont la dimension religieuse n'est pas pour autant absente. Dans quelle mesure l'analyse des œuvres de Pascal permettait-elle au P. Blanchet de faire avancer sa recherche visant à prouver la possibilité d'une conciliation entre littérature et spiritualité ?
C'est peut-être l'écriture même de Pascal qui retient l'attention de notre critique. L'écrivain, en effet, est-il parvenu à manier les mots de façon non seulement littéraire mais encore religieuse ? N'a-t-il pas parfois sacrifié sa foi au pur plaisir littéraire, en s'engageant, pour servir sa religion, dans des voies qui parfois lui nuisaient ? Son œuvre serait-elle finalement plus rhétorique que mystique ?
Car Pascal avait un dessein : amener les hommes à Dieu grâce à son œuvre. En montrant que la tonalité tragique des Pensées pourrait bien avoir cette fonction, le P. Blanchet soulève un problème : faut-il concevoir le tragique comme pure création littéraire devant permettre d'amener les hommes à la foi, et donc remettre en cause la sincérité des Pensées ? Ou bien est-on en droit d'estimer que le cri tragique émane de poumons profondément religieux comme ceux d'un Pascal, et que la dimension tragique de l'œuvre proviendrait d'une expérience vécue ?
Finalement, n'est-ce pas en raison même du processus même de création littéraire que les œuvres de Pascal expriment Dieu ? Car pour le P. Blanchet, l'inspiration est d'essence divine et peut ainsi dépasser celui qui écrit. Les mots de Pascal qui en sont issus ne se feraient-ils donc pas, peut-être même sans que ce dernier ne s'en aperçoive, reflet d'une âme profondément chrétienne ?
[...] Peut-être parce qu'elle repose sur une vision de l'inspiration qui elle-même lui semble fondamentale. N'est-ce pas d'elle dont dépend son intérêt pour l'œuvre pascalienne ? Des mots à l'âme, ou la littérature comme révélateur d'un état mystique Les Pensées ne sont pour nous vivantes que dans la mesure où nous y sentons une expérience, un témoignage, la confession involontaire d'une âme embrasée et excessive. Par une formule exceptive, le P. Blanchet souligne l'unique aspect de l'œuvre qui parle en lui. [...]
[...] Blanchet la rattache : en janséniste, Pascal ne peut que mépriser le monde, le tenir dédaigneusement à distance, le juger. Aussi dans les Pensées, le ton n'est celui de l'extase que lorsqu'il est question de Dieu. Et c'est avant tout de ce fossé qui sépare de Dieu l'univers que naît, aux yeux du P. Blanchet, l'angoisse de Pascal, angoisse qui repose sur l'idée qu'il aurait pu ne pas se détacher du monde : Pascal frissonne à la pensée que ce monde inhumain eût pu l'amuser, comme tant d'autres, par ses prestiges à fond de néant. [...]
[...] Blanchet ne l'abandonnera jamais, même au plus fort du conflit avec un écrivain qu'il admirait pourtant (Mauriac réagira de nouveau dans un article du 10 octobre 1961[12]). Nous pouvons donc à présent nous interroger sur la façon dont il concevait le Pascal des Pensées. Devenu fondamentalement chrétien, ce dernier est-il véritablement parvenu à utiliser l'écriture de façon chrétienne ? Que signifie l'expression de rhétorique pieuse employée par le R. P. André Blanchet pour qualifier la rhétorique du second Pascal ? Vers une rhétorique chrétienne Les Pensées : une œuvre rhétorique ? Une accumulation de mots à effet ? [...]
[...] Misère, orgueil, aveuglement, unique souci des fins dernières, divertissement enfin, c'est-à-dire cette dissipation qui s'oppose au recueillement et à la retraite Bremond avait donc raison de voir avant tout dans les Pensées le journal d'une vie mystique La rhétorique de Pascal dans les Pensées, c'est donc pour le P. Blanchet celle d'un nouveau converti, qui voit le monde à la lumière de sa cellule et retrace une expérience mystique, avant que d'être celle d'un janséniste. Ce qui suppose qu'elle soit fondamentalement sincère. Mais voilà que cette théorie de la sincérité dans l'œuvre de Pascal pourrait bien être mise à mal si l'on considère, comme le fait le P. Blanchet, la présence indéniable d'une tonalité tragique . [...]
[...] 17-19) pour montrer que les Pensées ont pu subir l'influence de La Vie de Monsieur de Renty.]. Articles divers Jean-Paul Sartre et la littérature Études t pp. 39-54 [Paru sous le pseudonyme André Vendôme]. François Mauriac polémiste Études t 12, pp. 340-354 [Article reproduit dans La Littérature et le spirituel, t. III, p. 231-249. Le P. Blanchet s'appuie entre autres sur l'exemple de la polémique engagée par Pascal.]. A François Mauriac Études t 10, pp. 61-64 [Réponse à l'article de François Mauriac, Le Méchant polémiste le Figaro littéraire juillet 1961. [...]
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