Le Retour dans le désert, Bernard-Marie Koltès, 1988

Résumé du document

Le théâtre est un genre littéraire particulier car, au contraire de la prose ou de la poésie, le texte théâtral ne constitue pas une fin en soi. Par définition, la pièce de théâtre n'est pas destinée à être lue mais jouée, représentée… c'est-à-dire vue et entendue. Cependant, le fait de n'avoir qu'un texte ne doit, normalement, pas être un obstacle à la bonne compréhension de la scène lue ou à l'interprétation des émotions et des sentiments exprimés par des personnages. Dans cette scène de "Le retour dans le désert", Bernard-Marie Koltès nous présente un règlement de compte familial entre un frère, qui lutte pour défendre son bien, et une sœur qui, pour reconquérir son honneur bafoué, veut reprendre possession de ce même bien. Comment, à travers un texte théâtral uniquement lu (et non sa mise en scène) l'auteur parvient-il à faire ressentir la tension existant entre les différents protagonistes ? Nous allons l'étudier en traitant tout d'abord de l'animosité qui empreint cette scène, de la violence tant verbale que physique. Puis nous étudierons le caractère des personnages, la fierté et le mépris ou l'autorité dont chacun se voit doté…avant de finir par se concentrer sur l'argumentation d'Adrien, puis de Mathilde.

Extraits

[...] Elle s'oppose tout d'abord à Adrien et au monde qui les entoure ; dans sa réplique des l.22 à 33, elle dit défier tous les éléments de la Terre (figurés par le champ lexical de la nature), le monde entier Adrien y compris ! Je vous défie, vous tous, dans cette maison (l.22-23). Ce défi s'adresse notamment à Adrien, son fils et ce qui lui sert de femme (l.22-23). Son défi aboutit à une mise à la porte. Mathilde révèle son autorité lorsqu'elle annonce, au futur simple (ici de certitude) et d'un ton implacable : tu la quitteras [la maison] demain. [...]

[...] Ainsi la fierté d'Adrien ressort dès ses premiers mots. Les questions de rhétorique des l.1 à 4 prouvent un sentiment de supériorité par rapport à sa sœur. Il y a une opposition flagrante dans ses propos entre le tu qui désigne sa sœur, et les expressions telles les gens honorables (l.8) parmi lesquels Adrien se compte également. Par ailleurs, la répétition de Qui es-tu pour ou de qui penses-tu être pour (l.2, l.19-20) montre qu'Adrien veut rabaisser sa sœur. Sa fierté s'exprime encore quand, lors de son avant-dernière réplique, il emploie l'anaphore Quelle pourriture ? [...]

[...] Tu prendras tes valises ( ) et tu iras vivre dans tes hangars (l.43-45). La fierté semble donc être un trait de caractère commun au frère et à la sœur, chez l'homme cette fierté se transforme en mépris, chez la femme en autorité. Cependant, bien qu'aucun des deux ne parvienne à contrôler ses sentiments, chacun tente de présenter l'argumentation la plus pertinente qu'il soit pour tenter de garder son bien ou son honneur ! Pour commencer, Adrien lance le débat en attaquant sa sœur d'emblée par la gradation suivante : Qui penses-tu être pour bafouer les bonnes manières, critiquer les habitudes des autres, accuser, calomnier, injurier le monde entier ? [...]

[...] Le Retour dans le désert, Bernard-Marie Koltès [Pendant guerre d'Algérie, Mathilde revient en France avec son fils Édouard dans l'intention de récupérer la maison familiale et de régler des comptes. Une violente dispute l'oppose à son frère Adrien devant les serviteurs, Aziz et Madame Queuleu.] AZIZ Qu'ils se tapent donc, et, quand ils seront calmés, Aziz ramassera les morceaux. Entre Édouard. MADAME QUEULEU Édouard, je t'en supplie, je vais devenir folle Édouard retient sa mère, Aziz retient Adrien. ADRIEN Tu crois, pauvre folle, que tu peux défier le monde ? [...]

[...] Fierté, mépris et autorité apparaissent dans une argumentation très structurée. Si le sujet apparent de la scène semble être la volonté de récupérer la maison familiale (ainsi que l'indique le paratexte), il semblerait que le sujet réel soit la volonté de recouvrer (pour l'une) et de conserver (pour l'autre) leur honneur, tout comme le domaine familial La lecture d'une scène théâtrale telle que celle-ci laisse une grande liberté d'interprétation au lecteur. Cependant, on peut se demander si la lecture d'œuvres théâtrales suffit pour en apprécier pleinement la valeur. [...]