Bernard-Marie Koltès (1948-1989) est un auteur dramatique français contemporain. Son théâtre, fondé sur des problèmes réels, exprime la tragédie de l'être solitaire et de la mort et est traversé par la violence des rapports humains, par la transposition poétique des rapports de domination et d'exploitation.
Cet extrait de sa pièce, Le Retour au désert, confirme la présence de ce thème de l'affrontement. L'auteur y transcrit une vive dispute entre Mathilde et Adrien, une soeur et un frère, devant trois témoins, Édouard, Aziz et Madame Queuleu. Mathilde est revenue de France pour régler des comptes et récupérer la maison familiale. Ces quelques répliques permettent la résurgence de tout un passé familial, ayant déterminé les sentiments et le comportement des protagonistes (...)
[...] Cette dispute ne le concerne pas et il l'observe avec fatalisme et indifférence. La fin de sa réplique énonce même un reproche implicite, suggérant le clivage net entre l'univers familial et celui des domestiques : Aziz ramassera les morceaux (ligne - Madame Queuleu est bouleversée et demande à Édouard de calmer sa mère et son oncle : Édouard, je t'en supplie, je vais devenir folle (ligne 3). Sa réplique témoigne de son implication dans la famille, ses souffrances et ses drames. [...]
[...] Édouard retient sa mère, Aziz retient Adrien ADRIEN Tu crois, pauvre folle, que tu peux défier le monde ? Qui es-tu pour provoquer tous les gens honorables ? Qui penses-tu être pour bafouer les bonnes manières, critiquer les habitudes des autres, accuser, calomnier, injurier le monde entier ? Tu n'es qu'une femme, une femme sans fortune, une mère célibataire, une fille-mère, et, il y a peu de temps encore, tu aurais été bannie de la société, on te 10 cracherait au visage et on t'enfermerait dans une pièce secrète pour faire comme si tu n'existais pas. [...]
[...] Elle ressent pleinement la violence. Du reste, dans sa réplique, Adrien fait d'elle un témoin, au même titre que sa femme et ses neveu et nièce : à genoux devant ma femme, devant Madame Queuleu, devant tes enfants (lignes 14-15). Ce contraste souligne implicitement une hiérarchie parmi les serviteurs : - Madame Queuleu bénéficie d'un certain respect (inhabituel pour un serviteur). En effet, contrairement à Aziz, elle est appelée par son nom. De plus, au service de la famille depuis longtemps, elle tutoie le fils (je t'en supplie, ligne et jouit de certains privilèges - Aziz se sent moins considéré et moins impliqué. [...]
[...] Ces quelques répliques permettent la résurgence de tout un passé familial, ayant déterminé les sentiments et le comportement des protagonistes. Ce passage captive le lecteur par l'expression de la violence sur scène, par Mathilde, femme meurtrie, victime de l'oppression familiale, et par le milieu bourgeois parfaitement représenté par Adrien son frère. Une scène violente Les didascalies et l'enchaînement même des répliques témoignent du conflit tendu entre les membres de cette famille. La violence transparaît à la seule lecture de la scène. [...]
[...] MATHILDE Eh bien, oui, je te défie, Adrien ; et avec toi ton fils, et ce qui te sert de femme. Je vous défie, vous tous, dans cette maison, et je défie le jardin qui l'entoure et l'arbre sous lequel ma fille se damne, et le mur qui entoure le jardin. Je vous défie l'air que vous respirez, la pluie qui tombe sur vos têtes, la terre sur laquelle vous marchez ; je défie cette ville, chacune de ses rues et chacune de ses maisons ; je défie le fleuve qui la traverse, le canal et les péniches sur le canal, je défie le ciel qui est au-dessus de vos têtes, les oiseaux dans le ciel, les morts dans la terre, les morts mélangés à la terre et les enfants dans le ventre de leurs mères. [...]
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