« Les serments d'amour m'irritent, se plaignait la marguerite. Aussitôt que débute une affaire sentimentale, j'y laisse tous mes pétales. » (Georges Brassens). De l'oeuvre de Goethe, Faust, publiée en 1808, à celle de Paul Valéry, Mon Faust (1946), plus d'un siècle plus tard, en passant par celle de Boulgakov, Le Maître et Marguerite (1941), le personnage central, Marguerite, premier amour du docteur au coeur vierge, n'a cessé d'inspirer les écrivains sur plusieurs générations. En quoi ces trois hommes ont-ils attribué à Marguerite un rôle tout aussi ambigu que traditionnellement simple ? La littérature n'a de cesse d'explorer toutes sortes d'intrigues amoureuses, de personnages féminins perdus par leur amour exalté. Pourtant, on retiendra de cette femme-enfant un caractère spécial qui vaut d'être étudié, voire élucidé. Jeune fille pieuse et innocente, puis femme fatale désirable et désirée, et enfin femme divinisée, l'évolution surprenante et atypique du personnage est pourtant commune aux trois hommes qui se sont essayés à nous l'offrir.
[...] ébauches) Parallèlement, la Lust de Valéry s'étonne de l'existence d'un usage autre pour les oreilles que celui de les parer : Que diantre peut-on faire à des oreilles qu'un petit trou d'aiguille pour les perles ? . (p26.) On peut noter que Goethe s'abstient de soustraire sa Marguerite à la coquetterie, ce qui laisserait penser que le siècle qui le sépare des deux autres est celui qui permet de différencier les mœurs antagonistes des femmes dans la société du XIX° et dans celle du XX°. [...]
[...] La figure docile et innocente Au premier abord, le personnage de Marguerite, dans chacune des œuvres la mettant en scène, laisse deviner le type de la femme enfant, naïve et innocente, tout autant que vertueuse. Cette jeune fille aux bons principes se révèle très pieuse, louant des valeurs telles que la foi dans le Seigneur ou la consécration à la famille. A. Marguerite, jeune femme pieuse La vie de Marguerite, avant de rencontrer Faust et d'éprouver le sentiment amoureux, semble très liée à la foi chrétienne, qui, même altérée par l'exaltation de son amour, continue d'habiter l'âme de Marguerite. [...]
[...] Au-delà de ce jeu de séduction banal, l'image donnée de Marguerite au travers des trois œuvres qui la découvrent serait aussi celle de la tentatrice. Pleinement consciente de son envie de plaire, la pieuse enfant laisserait finalement place à la coquetterie de la femme fatale. Dans Le Maître et Marguerite, un inconnu vient de proposer à la belle un pacte ayant à la clé les retrouvailles avec son bien-aimé perdu. La femme mariée accepte d'engager la conversation avec un inconnu pour retrouver son amant, mais se rend compte d'un oubli significatif de sa personnalité : - Bon, je veux bien, répondit Margarita Nikolaïevna sans la moindre hauteur cette fois ; elle était un peu perdue, il lui vint à l'esprit qu'en s'asseyant sur le banc elle avait oublié de se mettre du rouge à lèvres. [...]
[...] (P.83.) L'avilissement consenti de la jeune femme encourage les comportements dominateurs des hommes qui l'entourent. Cela commence par des qualificatifs réducteurs confirmant l'infantilisation de la femme, comme dans Mon Faust, par exemple : Faust : Allons, petite Lust, je vous ai bien fatiguée ? (p.105.) A de nombreuses reprises, Goethe lui-même la fait surnommer Mon enfant respectivement par Faust puis Méphistophélès. Puis, ce paternalisme affectif et bienveillant (sauf peut-être lorsqu'employé par Méphisto) devient de l'impérialisme affirmé : Vous n'êtes pas ici pour comprendre, mon enfant. [...]
[...] Faust est un scientifique, pour qui les sentiments ont moins d'importance que la lucidité froide de la connaissance. Le constat de l'amoureuse est catégorique : Pauvres dames qui vous ont aimé ! Vous les aurez mises dans le fourneau du laboratoire. (Mon Faust, P31. Goethe avait pris soin de mettre en scène cette douloureuse prise de conscience de son héroïne tragique : Je voudrais pour cela n'aimer point de ma vie, Sachant de quel chagrin une perte est suivie. (P.133) Pour le savant réaliste, lucide, presque trop terre à terre, impossible de s'attarder sur les exaltations amoureuses. [...]
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