Le récit des corps se déploie dans l'univers bouillonnant de Paris où se déploie une population nomade, vivant essentiellement dans la rue et ayant pour principal but de survivre. Plus qu'un simple espace architectural, la rue, comme le révèlent les archives judiciaires dont l'auteur est spécialiste, est présentée comme un « acteur social » façonnant les comportements des individus. Mais au-delà des réactions de survie et de violence, une grande effervescence, faite de joie et de solidarité, imprègne l'atmosphère (...)
[...] Effusion et tourment présente le corps du peuple dans toutes sortes de situation de la vie quotidienne : travail, déplacements, sexualité, relations hommes-femmes ou pauvres-bourgeois. Dans ces descriptions ne figure aucun misérabilisme contre lequel se dresse d'ailleurs l'auteur. Si le corps des pauvres apparaît si important, c'est parce que, contrairement aux plus riches qui disposent d'une multitude de protections (argent, biens, serviteurs, relations sociales), ils n'ont souvent que celui-ci pour faire face au pouvoir. Pour ceux qui ne sont pas reconnus comme des sujets à part entière, dans une société où l'écrit apparaît comme un facteur de discrimination essentiel, le corps et ses usages (notamment la voix) devient un moyen de s'insérer dans une société qui les exclut : Quand ni l'écrie ni la lecture n'apportent de relais ni de support à l'indignation, le corps prend sur lui la charge de ces sentiments extrêmes et la parole émise devient ciel d'orage (p.68). [...]
[...] Effusion et tourment n'est, en effet, pas seulement le récit des corps-objets mais surtout celui des émotions éprouvées par les individus. A l'encontre d'une histoire sociale longtemps marquée par un souci objectiviste et quantitativiste, Arlette Farge fait partie de ceux, comme Michelle Perrot, qui placent les émotions au premier plan de l'histoire. S'inspirant de Bourdieu, l'auteur souligne notamment l'intelligence du corps dont dispose chaque individu, même le moins lettré. Chacun sait, non pas par instinct mais par intelligence, ainsi reconnaître l'émeute, y prendre part ou l'éviter. [...]
[...] Le refus d'établir une distinction entre raison et émotions permet à l'auteur de faire du corps non pas un simple support mais un moteur de l'action. Mis à part certaines causes appréhendées d'emblée comme politiques les émeutes de 1750 survenues à Paris à l'improviste pour protester contre les enlèvement d'enfants n'auraient peut-être pas eu lieu sans la solidarité nouée entre parents. Le corps rendrait ainsi son imprévisibilité au déroulement de l'action : Moyen de vivre, de résister, de lutter, sans trop d'abri pour se protéger du monde autoritaire et gouvernant, le corps du pauvre est un formidable agent de l'histoire (p.15). [...]
[...] Farge Arlette, Effusion et tourment. Le récit des corps. Histoire du peuple au 18ème siècle, Paris, Odile Jacob Effusion et tourment est un ouvrage dont l'ambition est de retranscrire le rapport des hommes à leurs corps. En écho avec le projet foucaldien consistant à exhumer des archives l'histoire de la vie des hommes infâmes Arlette Farge propose de rendre compte des corps anonymes et peu aisés du peuple. A l'encontre d'une historiographie longtemps limitée aux intellectuels et aux salons mondains, cette spécialiste du XVIIIème siècle propose, et ce depuis ses premiers ouvrages (Vivre dans la rue à Paris au 18ème siècle, 1979), de décrire l'envers des Lumières. [...]
[...] Bien que connus des historiens, ces écrits étaient ignorés, au profit par exemple de la dimension vestimentaire, comme si ces écrits n'avaient pas de place sur une population assignée à son illettrisme. Pourtant, remarque Arlette Farge, le soin apporté à ces manuscrits témoigne que les gens du peuple pressentaient l'importance de l'écrit qu'il ne maîtrisaient pourtant pas : Sans culture écrite, ils vivent avec l'écrit. C'est un talisman qui leur permet de traverser le temps et les jours, et dont ils connaissent l'éminente symbolique (p.101). [...]
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