La particularité de A Rebours est d'être un roman où il ne se passe presque rien : la narration est concentrée sur le personnage principal, des Esseintes, un anti-héros esthète et excentrique, et constitue à peu de choses près un catalogue de ses goûts et dégoûts. Au fil des chapitres du roman de Huysmans, des Esseintes, par l'excitation constante de son esprit et de ses sens au moyen de raffinements inouïs, cherche, en bon décadentiste, à oublier la société qui l'entoure où, à ses yeux, règne une vulgarité sans partage. Il tente donc de « substituer le rêve à la réalité même », et pour cela achète des livres précieux, se fait livrer des fleurs rares, mais invente aussi un orgue à liqueurs et s'enivre des parfums nouveaux qu'il crée. Des Esseintes, dans A Rebours, cherche donc à établir un nouveau règne des sens, sans hiérarchie, substituant au partage traditionnel entre nature et représentation artistique d'autres correspondances. Détourné de la nature et rejeté par l'art, Des Esseintes s'intéresse aux sens et aux sensations, comme une tierce branche de l'alternative. Mais s'il cultive l'inouï, le rare, l' « insenti », si l'on peut dire, comme s'il accomplissait un sacerdoce, c'est parce que le personnage de Huysmans, en fait, se comporte en dilettante. On peut se demander dans quelle mesure le travail et l'expérience des sens dénote un défaut, une absence dans le roman, celle d'une création artiste. Les sens sont omniprésents dans A Rebours, au point que le romancier leur consacre de longues digressions, qui composent parfois des chapitres entiers. Le propre du personnage de des Esseintes est de s'appliquer à une spiritualisation des sens vouée à l'échec, en artiste manqué qu'il est.
[...] (Des Esseintes, comme un artiste, s'exerce pour réaliser ses inventions. Huysmans consacre même un long chapitre à l'exercice, il s'agit du chapitre VII, qui revient sur l'éducation jésuite de Floressas. Mais l'exercice, chez des Esseintes, n'est qu'un ersatz de discipline spirituelle et de création artistique. (C'est pourquoi il adopte, ou copie, la plupart du temps, la posture du créateur, du poète écrivant. Pages : on voit le dilettante s'installer à son cabinet de travail amateur. On note aussi que l'art des sens se substitue à la création poétique : la métaphore filée de l'élaboration de parfum comme écriture se poursuit en fait sur plusieurs pages. [...]
[...] Plus précisément, le lexique des couleurs et des nuances introduit le thème de la vue. On peut aussi remarquer que le culte du silence autour de la maison, que ne viennent seulement troubler les pas de la domestique dans l'escalier extérieur, relève du sens de l'ouïe. Encore, l'établissement saisonnier des menus dépend du goût de des Esseintes. Si chez Balzac le lieu reflète l'individu, chez Huysmans, plus précisément, le lieu se fait le reflet de la sensibilité du personnage. La vie à Fontenay aux roses permet justement l'agencement du monde, son ajustement fonction de la représentation du personnage. [...]
[...] (Le dilettante absolu (Mais même l'expérience de l'artifice est vouée, dans A Rebours, à l'échec. Des Esseintes est donc aussi un dilettante au sens où, dans son expérience des sens, il manque de s'engager, il essuie une absence cruelle de professionnalisme dans tout ce qu'il fait. L'expérience de l'orgue à liqueur à laquelle on assiste au chapitre IV demeure inachevée. Dans le chapitre IX, suit à l'échange de sexes auquel se prête le personnage une relation avec une ventriloque, qui toutes deux avortent. [...]
[...] (En effet des Esseintes est dégoûté de la nature : à plusieurs reprises il accuse ainsi le réel. Au chapitre II, il oppose l'imagination aux faits réels : l'imagination lui semblait pouvoir aisément suppléer à la vulgaire réalité des faits L'adjectif qualificatif vulgaire accuse la nature. Il existe donc, entre nature et imagination, une relation de substitution, certes, mais aussi une hiérarchie. A la page suivante, on trouve l'accusation paragraphe assez marquante quand on lit le roman, qui concentre toute la virtuosité de Huysmans : À n'en pas douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usé la débonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu où il s'agit de la remplacer, autant que faire se pourra, par l'artifice (Cependant, il n'est pas moins incapable d'art, en témoignent les très nombreuses références qui truffent le roman, à défaut de pouvoir convoquer ses propres créations. [...]
[...] Ce sont, d'une part, les sens qui forgent un esprit. de l'autre, les expériences des sens sont spiritualisées en tant que travaillées comme des objets intellectuels dans de remarquables synesthésies. Enfin, néanmoins, une mystique des sens, toute baudelairienne en fait, fait défaut à des Esseintes, et à A Rebours. ( L'esprit et les sens de des Esseintes (D'abord, dans A Rebours, les sens sont empreints de la spiritualité de des Esseintes, comme l'esprit du parfumeur achève le parfum d'une fleur: c'est ainsi que les fleurs sont olfactivement représentées par des alliances d'alcoolats et d'esprit La sensibilité maladive et exacerbée du personnage dénote un être supérieur. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture